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voyageurs, qui ont visité comme lui la région qui avoisine les lacs Nyanza et Tanganyka, signalent en effet l’existence de villages populeux autour desquels la culture est florissante. Cependant il y aurait eu là-bas, dans ces dernières années, de grands changemens. Mtesa est mort ; deux de ses successeurs ont été détrônés ; la guerre a dévasté le pays ; les habitans ont fui, le désert a remplacé les cultures, et de l’empire africain il ne resterait qu’une agglomération peu solide de peuplades soumises à la tyrannie musulmane et ouvertes plus que jamais aux opérations de la traite. Le tableau, tracé par les partisans de l’œuvre que dirige le cardinal Lavigerie, est peut-être un peu poussé au noir, pour les besoins de la bonne cause. Quoi qu’il en soit, il n’en laisse pas moins subsister les témoignages certains qui établissent la fertilité de cette partie de l’Afrique, la densité possible de la population, l’aptitude de la race nègre à se gouverner, ou du moins à supporter un gouvernement régulier.

Cameron fait également une description fort curieuse du pays de l’Ouroua, qui s’étend à l’ouest du lac Tanganyka, entre les 5e et 9e degrés de latitude. Ce pays appartient à la dynastie de Kassongo, qui exerce sa souveraineté sur un vaste territoire et sa suzeraineté sur un grand nombre de districts environnans. Les districts ont un gouverneur, tantôt héréditaire, tantôt élu pour quatre ans, et rééligible, à la condition toutefois que Kassongo ne soit pas mécontent de lui ; car, si le gouverneur avait eu le malheur de déplaire à son suzerain, celui-ci lui ferait couper le nez, les oreilles ou les mains. La hiérarchie sociale est respectée à tous les degrés ; le châtiment atteint tous ceux, petits ou grands, qui commettent une faute contre la règle, et ce châtiment ne peut être que très dur : la mutilation ou la mort, le code de l’Ouroua ne connaissant que ces deux peines. Il est vrai que la mutilation est plus fréquente que la peine de mort, et que, s’il y a des circonstances atténuantes, elle n’est que partielle ; l’exécuteur coupe un doigt au lieu de la main, un morceau du nez au lieu du nez entier. Il y a bien aussi çà et là quelques tribus d’anthropophages ; on les connaît, et on essaie de s’en garer. Ce ne sont pas là précisément des mœurs douces ; mais cette sauvagerie est mêlée de certains élémens d’ordre, et même de gouvernement, qui ont été observés par les différens explorateurs. La beauté du pays rachèterait, d’ailleurs, au dire de Cameron, les imperfections de la race qui l’habite. « Le centre de l’Afrique est un pays merveilleux dont les produits égalent en nombre, en valeur, en diversité, ceux des régions les plus favorisées du globe. Dans l’Ouroua, le riz rapporte 160 pour 1 ; le maïs, de 150 à 200, et, dans la même terre, il donne jusqu’à trois