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de choses, une politique orientale où les nations de l’Europe auront à revendiquer des droits, à remplir des devoirs et à protéger des intérêts. Il convient donc que nous ayons, nous aussi, notre place et notre influence en Asie. Ce qui est difficile, c’est de bien choisir le terrain, le climat, les voisinages et de rencontrer les conditions naturelles qui, indépendamment d’une bonne administration, procurent à l’établissement colonial la sécurité s’ajoutant à une certaine somme de profits. Les explorateurs peuvent être, à cet égard, nos premiers guides. On voit par leurs récits ce qui est à prendre ou à laisser. Combien de pays, très estimables au point de vue ethnographique ou anthropologique, très appréciés par les sociétés de géographie, sont tout à fait négligeables pour la colonisation ! Cela s’applique assurément au Laos.

Faut-il en dire autant de Madagascar, la grande île africaine où la France, après diverses tentatives d’occupation et de conquête, a récemment introduit le régime nouveau du protectorat ? La littérature des voyages est très riche en ouvrages français et anglais sur Madagascar. On doit citer en première ligne les écrits de M. Grandidier, puis la relation de Mme Ida Pfeiffer, la célèbre voyageuse, ainsi que les rapports nombreux des officiers de marine qui ont été envoyés en mission dans l’île, et le Tour du monde nous donne les impressions d’un explorateur bien connu, M. D. Charnay, dont le nom demeure attaché à la découverte et à la description des antiquités mexicaines. En sa qualité d’île, Madagascar offre l’avantage de n’avoir point de voisins contre lesquels il soit nécessaire de se tenir en garde par l’entretien d’un nombreux effectif militaire. Le sol est fertile ; la température, humide et pluvieuse pendant une grande partie de l’année, est favorable aux rizières et surtout aux pâturages. Madagascar est le pays des bœufs. Ces animaux sont employés aux transports, ils s’expédient en grand nombre à l’île Maurice et à la Réunion, et, comme il en reste, on en fait des hécatombes dans les cérémonies publiques et privées. À la mort du roi Ranavolo, la douleur publique immola plus de trois mille bœufs. C’est beaucoup, même pour un récit de voyageur. On aurait mieux fait de supprimer pareil nombre de crocodiles ; les cours d’eau en sont encombrés. Mme Ida Pfeiffer, qui avait l’habitude de se bien porter, et il le fallait pour la vie qu’elle menait de par le monde, a été prise de fièvre à Tananarive. Cette circonstance a jeté un noir sur le tableau qu’elle fait de la grande île et de ses habitans, Hovas ou simples Malgaches. Indulgente d’ordinaire et quelque peu sceptique, ainsi que le deviennent la plupart des voyageurs à force de voir des choses étranges et de perpétuels contrastes, Mme Pfeiffer est, à l’endroit de Madagascar, d’une