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européens. Quoi qu’il en soit, c’est dans cet hôtel peu majestueux que se sont traités, depuis 1860, les plus graves intérêts de l’Empire et que la diplomatie chinoise, réduite jusqu’alors aux relations avec le Japon, la Corée, l’Annam et les états tributaires de l’Extrême-Orient, se voit obligée de converser avec le monde entier. La vieille politique est bien morte, de même que la grande muraille tombe en ruines.

La révolution se fait, en Chine, avec une rapidité qui n’était pas à prévoir dans ce pays de si antique structure. C’est l’Europe qui l’a mise en train et la mène tambour battant. Le Tour du monde, avec les relations du général Prjéwalski, du docteur Piassetsky et de M. Deveria, nous a montré la Chine telle qu’elle était il y a quinze ans. Il ne tardera pas sans doute à nous présenter le récit d’un voyageur qui aura vu la Chine actuelle, contractant des emprunts, construisant des télégraphes et des chemins de fer, achetant des canons krupp, ayant des navires cuirassés, armant ses soldats de fusils à tir rapide, pourvue, en un mot, de tous les engins de la civilisation européenne. Nous avons attaqué la Chine ; il faut bien qu’elle se défende, et elle a fini par comprendre que les canons de bois, les fusils à mèche, les jonques aux deux gros yeux sur l’avant ne lui donnaient plus de suffisantes garanties. De là à créer en Chine l’esprit militaire, à susciter l’idée de patriotisme, qui partout s’attache au drapeau des armées, il n’y a qu’un pas, et, ce peuple de lettrés s’avisera, bientôt peut-être, de devenir soldat. Sur le champ de bataille de l’industrie, il lui sera facile de devenir notre égal. Le Chinois est très laborieux, il est sobre, économe et se contente du plus modique salaire. Nous lui enverrons nos ingénieurs et nos machines jusqu’au jour où il opérera lui-même avec ses propres ressources, qui sont infinies. À côté des élégantes pagodes qui se dressent dans la campagne et sur les rives des fleuves, on verra s’élever les cheminées des usines. Ainsi la Chine luttera contre l’Europe avec les armes que nous lui aurons portées. Est-ce un rêve que l’invasion du vieux monde par la race jaune, invasion prédite par quelques publicistes qui nous font apparaître dans les brumes de l’avenir le pavillon chinois dominant dans la Méditerranée et dans nos océans, les émigrans chinois, banquiers et manœuvres, s’abattant sur l’Europe comme ils le font déjà sur les États-Unis et l’Australie, les produits chinois inondant nos marchés ?

Voilà des réflexions bien sérieuses dont la gravité risque de gâter les simples récits de nos touristes. Il vaut mieux, en quittant le Céleste-Empire, conclure par un trait d’amusante chinoiserie. C’est une histoire de bottes, dont la première édition