Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 93.djvu/912

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de repousser tout contact avec l’étranger. La solidité des mœurs familiales, le culte des ancêtres, l’indépendance des institutions communales, la discipline observée à tous les degrés dans les fonctions de l’état comme dans la famille, ne nous en donnaient qu’une explication incomplète ; car, à côté de ces causes de durée et de prospérité, on nous avait signalé de nombreuses imperfections dans les mœurs politiques, les exactions et la vénalité des hauts fonctionnaires, s’enrichissant dans l’exercice de leur charge, le défaut de patriotisme, le mépris des institutions militaires. Au retour de notre exploration, au cours de laquelle nous n’avions vu de la Chine qu’une partie du littoral et quelques ports récemment ouverts aux Européens, la Chine demeurait pour nous une grande énigme ; mais nous étions d’accord pour reconnaître que cet empire, avec sa population si nombreuse, bien douée et disciplinée, possédait en lui-même des élémens de vitalité et de puissance qui n’étaient point à dédaigner, et nous n’étions hésitans que sur le point de savoir si la révolution qui venait d’ouvrir la Chine à l’Europe par la guerre et par la diplomatie (car c’était bien une révolution) devait être favorable ou funeste pour les destinées de cet immense empire.

Les négociations qui précédèrent la guerre de 1860 démontrèrent que le gouvernement chinois n’avait encore rien appris à son premier contact officiel avec l’Europe, ni rien oublié de la vieille politique à l’ombre de laquelle il persistait à se tenir inaccessible pour les gouvernemens étrangers. Ce fut, on s’en souvient, l’admission des ambassadeurs européens à la cour impériale, ce fut l’admission de l’Europe à Pékin, qui devint la cause principale de la nouvelle guerre. Les mandarins se résignaient à la présence de quelques négocians étrangers dans les villes du littoral ; ils fermaient les yeux sur la propagande à laquelle se livraient dans les provinces de l’intérieur les missionnaires catholiques ; ils ne prenaient pas garde aux rares touristes, botanistes ou amateurs de bibelots qui, déguisés en Chinois, armés du parasol et de l’éventail, se promenaient innocemment au-delà des zones permises, ils consentaient même, ne pouvant faire autrement, à échanger des dépêches et à signer des traités avec les représentans des gouvernemens étrangers. Mais dès qu’il fut question d’accueillir les ambassadeurs européens dans la capitale, de les introduire dans le palais impérial, et de déroger, au profit de ces étrangers, aux mœurs et aux traditions séculaires, ils opposèrent une résistance obstinée, qui ne put être brisée que par la force. Il leur semblait que la dignité personnelle de l’empereur serait atteinte, que l’empire perdrait son prestige au regard de ses nombreux tributaires, et que Pékin, la ville