Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 93.djvu/898

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme des atomes pareils ; que, si la loi ne doit pas créer d’inégalité artificielles, elle doit tenir compte des inégalités naturelles. Et, remarquez-le bien, la loi d’hérédité, à laquelle aucun être vivant ne saurait se dérober, n’atteint guère moins, la motion de liberté, telle que la concevait la Révolution, que la notion d’égalité. Que devient l’idée de Rousseau, que l’homme naît bon, que le peuple est bon par nature ? La science a restauré, à sa manière, le dogme de la chute originelle. L’atavisme a pris la place du serpent de l’Eden. Nos aïeux revivent en nous, et qu’est-ce que les aïeux de l’homme pour le disciple de Hæckel ? C’est l’esclave, le barbare, le sauvage ; c’est la bête et la brute. Après cela, étonnez-vous des mécomptes de la Révolution ! En libérant l’homme du frein de la coutume, elle débridait l’animal qui sommeille dans l’homme ; elle lâchait le loup ou le chacal enchaîné au fond des peuples civilisés. Elle croyait émanciper la raison et elle aboutissait au débordement des instincts.

« Est-ce la peine de pousser plus loin cette analyse ? Il me répugnerait de montrer que l’idée fondamentale de la dévolution, ce qui, en a fait la force et la noblesse, ce qu’elle appelait les droits de l’homme, l’idée du droit elle-même, est peu compatible avec une science qui incline au déterminisme universel et tend à regarder l’homme comme un automate conscient. Mais je m’arrête ; j’en ai dit assez pour faire voir qu’entre la Révolution et la science moderne il y a un secret antagonisme. Une des choses les plus menaçantes pour notre civilisation, c’est précisément cette sorte d’antinomie entre nos conceptions scientifiques et les notions politiques, héritées de la Révolution. Comme les vieilles religions qu’elle a prétendu remplacer, la Révolution est entrée en conflit avec la Science. Après s’être imposée au nom du progrès, la Révolution, ou, si vous aimez mieux, la tradition révolutionnaire, est devenue, à son tour, le grand obstacle au progrès, à l’évolution régulière des sociétés civilisées. Elle se vante d’avoir anéanti tous les préjugés, et elle en a enfanté un nouveau, le préjugé révolutionnaire, le plus pernicieux de tous, parce qu’étant révolutionnaire, il a moins l’air d’un préjugé. Avec sa notion écourtée de la société et de la nature humaine, la Révolution menace l’humanité occidentale d’une brusque rétrogression. Elle est le passé, elle représente une conception du passé essentiellement défectueuse et bornée, et elle prétend garder les clefs de l’avenir. La Révolution nous a affranchis de l’ancien régime ; qui nous affranchira de la Révolution ? Je bois à notre émancipation de l’esprit révolutionnaire. »

Après tant d’étrangers, il fallait bien qu’un Français parlât. Il en