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à tous les jeunes gens d’extraction juive. Le ministère ne paraît pas avoir adopté cette interprétation. Les juifs baptisés ont fini, croyons-nous, par voir s’ouvrir devant eux les portes de l’alma mater de Kief. Rien de plus conforme aux traditions et à l’esprit de la législation russe, qui ne craint pas d’user de vexations légales pour amener à la foi dominante les juifs ou les hétérodoxes. S’en prendre à la religion est peut-être plus humain que s’en prendre à la race ; mais que devient ici la liberté de conscience ? N’est-ce pas la religion qui est directement visée, puisque, pour être apte à faire son droit ou sa médecine, le juif n’a qu’à renier extérieurement la foi de ses pères ? Cela ne rappelle-t-il pas les temps où la théologie veillait, en jalouse gardienne, sur les universités d’Occident ? Cela suggère encore un autre rapprochement. L’empereur Julien eut, lui aussi, dans l’antiquité, l’idée d’interdire les hautes études à certains de ses sujets ; c’étaient alors les chrétiens, et, de toutes les mesures imaginées par l’apostat contre les « galiléens, » celle-là fut regardée comme la plus odieuse.


V.

Toute cette législation spéciale va, manifestement, à l’encontre de son but. Elle tend à fomenter chez les juifs les défauts qu’on est le mieux fondé à leur reprocher. Elle travaille à les rejeter sur eux-mêmes, à les isoler des autres races, à en faire un peuple à part au milieu de la nation.

Quelles sont les accusations le plus souvent et le plus justement lancées contre les juifs ? Elles se ramènent à deux chefs principaux : l’un national, l’autre économique. On reproche aux juifs leur exclusivisme, leur penchant à se tenir séparés des peuples au milieu desquels ils habitent, à former, à travers les âges et les diverses civilisations, une tribu ayant ses coutumes, ses lois, ses intérêts propres. Le reproche peut être souvent mérité, au moins pour les juifs de Russie et d’Orient ; mais les barrières légales élevées entre eux et les chrétiens, les efforts pour les cantonner en certaines provinces, en certains métiers, en certaines écoles, les règlemens pour les éloigner de la haute culture, tout cela ne semble-t-il pas imaginé pour les maintenir dans leur isolement et les enfoncer dans leurs préjugés talmudiques, pour alimenter leurs rancunes contre les goïm et pour refouler en eux l’homme moderne ; pour ne leur laisser d’autre sentiment national que celui du juif, d’autre patrie qu’Israël et leur kahal ?

On leur fait un crime de leur solidarité, de leur tendance à se former en corporation sous l’autorité de leurs chefs ou de leur