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d’un tremblement de terre : la main d’un enfant y eût suffi. En les démolissant, il eût fallu au moins n’ensevelir personne sous leurs décombres. Les maux de la Révolution vinrent, en partie, de la disproportion entre l’œuvre et l’effort, entre la faiblesse de l’ancien régime et les forces soulevées pour le renverser. La Révolution, lancée dans un furieux élan contre une société en ruines, dépassa le but et alla rouler dans le sang.

« Démolir était facile ; reconstruire, moins aisé. Quand la France a refait sa maison, sur quoi a-t-elle bâti ? Sur la tradition latine, avec des matériaux antiques, suivant un plan romain, et encore par des mains italiques. La vieille Rome a été la carrière où Napoléon a pris les pierres de la France nouvelle, à peu près comme les neveux des papes édifiaient leurs palais avec le travertin du Colisée. Guerrazzi en a fait la remarque : la Révolution française n’a eu que deux grands hommes : un pour l’ouvrir, un pour la fermer, et tous deux, Riquetti de Mirabeau, comme Napoléon Buonaparte, portaient un nom italien. Ce pourrait être un symbole : la tradition romaine avait préparé la révolution, la tradition romaine devait la clore.

« La Révolution française se vante d’avoir sécularisé la société et introduit la raison dans le gouvernement des peuples. Est-ce bien la Révolution, ou n’est-ce pas plutôt la Renaissance qui a marqué l’avènement de la Raison dans l’histoire ? Pour qui suit la filiation des idées, aucun doute. A la Renaissance remonte l’affranchissement de l’esprit humain, dans l’art, dans la politique, dans la science. La Réforme, qui prétend s’en faire honneur, n’est elle-même qu’une fille maussade de la Renaissance ; c’est le contre-coup de l’humanisme, une application de la critique et de l’esprit d’analyse aux livres sacrés. C’est la Renaissance qui a été l’émancipatrice de l’esprit moderne, en ruinant la philosophie scolastique, en même temps qu’elle ébranlait le système féodal. Nos paisibles humanistes ont été les pionniers de la Révolution, aussi bien que de la liberté de penser. Nos philosophes, les Bruno, les Campanella, ont revendiqué les droits de la Raison et de la Nature, avant les Français ou les Anglais. Nos savans, Galilée et son école, n’ont pas attendu votre XVIIIe siècle pour révolutionner le système du monde, détruire la conception géocentrique de l’univers et ramener l’homme à une saine notion de sa place dans la nature. La Révolution était tout entière en germe dans la Renaissance. L’Italie eût été libre du joug des barbares que de ce mouvement intellectuel, scientifique, philosophique, autrement large que celui du XVIIIe siècle, il serait sorti une transformation politique, sociale, religieuse, autrement féconde que celle de 1789. La révolution eût été accomplie deux siècles plus tôt, par une nation plus maîtresse d’elle-même, plus mesurée, plus pondérée,