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défendu. Depuis 1882, ils ne peuvent plus s’établir en dehors des villes ci, des bourgades. C’est là ce que les conseillers du tsar ont imaginé, pour prévenir le retour des émeutes antisémitiques, comme si ce n’était pas des villes qu’était parti le signal de la chasse aux juifs. Toutes ces mesures contre les Israélites sont à double tranchant ; elles blessent le chrétien qu’elles prétendent protéger, en même temps que le juif qu’elles veulent frapper. En maintes contrées, le prix de vente ou de loyer des terres en a été sensiblement abaissé, tandis que le crédit aux cultivateurs en était renchéri.


IV.

Si l’état cherche à fermer aux juifs les campagnes et l’exploitation rurale, il doit s’efforcer de les retenir à la ville en leur ouvrant tous les métiers urbains, toutes les professions bourgeoises. Non point ; sur ce champ restreint se dressent encore devant eux de nombreuses barrières. Leur activité se heurte à des lois d’exception, à des règlemens ministériels, à des circulaires secrètes. Aux emplois de l’état, les israélites n’ont guère à penser : la loi les déclare incapables de toute fonction publique, sauf quelques rares exceptions. Ils peuvent, par exemple, entrer au service de l’état comme ingénieurs ; mais, en fait, presque aucun juif judaïsant n’y parvient ; pour avoir quelque chance d’être admis, il leur faut commencer par se faire baptiser. Ils peuvent encore être médecins militaires ; mais les règlemens ont eu soin de décider que les juifs ne sauraient remplir plus de 5 pour 100 des postes de ce genre. Quant aux fonctions électives, rétribuées ou gratuites, la loi les écarte de presque toutes. Un israélite ne peut être maire d’une ville ou ancien d’un village. Les juifs ne peuvent jamais former qu’un dixième du jury et un tiers des conseils municipaux, même dans les villes où ils sont en majorité.

Les restrictions légales ou administratives les poursuivent jusque dans les carrières privées. L’administration les a, ainsi, naguère, fait expulser de tous les services des chemins de fer du sud-ouest. Un trait montre de quelle façon les autorités entendent les droits accordés aux israélites. La loi reconnaît aux juifs pourvus du diplôme de pharmacien le droit de résider dans tout l’empire ; la police de Pétersbourg n’en a pas moins fermé les pharmacies tenues par des juifs. Elle a décidé que le droit d’habiter la capitale ne donnait pas au pharmacien celui d’ouvrir une pharmacie. Le plus singulier, c’est que cela est conforme à la jurisprudence habituelle en pareille matière. Vis-à-vis des