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eux-mêmes. Mais leur crime irrémissible, c’est d’avoir raillé les Allemands, d’avoir affublé d’un ridicule bonnet de nuit le Michel allemand, ce type national aussi populaire que John Bull, dont personne n’avait jusqu’alors osé contester la bravoure. Bœrne est le premier chez qui l’on trouve cette disposition d’esprit ; et les temps sont si changés que les jeunes gens des universités, antisémites à la génération précédente, et qui avaient poussé, en 1819, contre les juifs le vieux cri de haine : Hep ! hep ! tant ils avaient amassé de colères par leur absence de patriotisme durant la guerre, saluaient maintenant en eux les fiers champions de la liberté. On lisait avidement les lettres de Bœrne, écrites de Paris, d’où il répandait le culte de 1789 en Allemagne. On l’applaudissait, quand il accusait Goethe de n’être pas démocrate, quand il comparait les Allemands à des caniches bien dressés, auxquels leurs souverains n’avaient ou qu’à crier : Apporte ! pour retrouver leurs couronnes. N’est-ce pas grâce à cet esprit monarchique, s’écrie M. de Treitschke, que la Prusse a pu faire l’unité de l’Allemagne ? « Et où sont ajoute-t-il avec indignation, où sont les services du radicalisme allemand, qui se puissent comparer aux actes de ce soi-disant esprit de valets ? » Heine va plus loin encore. Il introduit dans la littérature allemande le persiflage voltairien qui ne l’avait jusqu’alors jamais déshonorée : l’idolâtrie de Napoléon et la haine mortelle du christianisme et de la Prusse inspirent toute son œuvre. Les chefs de la jeune Allemagne ne sont pas seulement des railleurs, ce sont d’arrogans sophistes dressés à l’école de Hegel. Ils tournent contre l’État cette dialectique que Hegel mettait au service de l’Etat. La confusion de l’Allemagne fédérative, dont la révolution de 1830 révèle le chaos, ne leur est que trop favorable. L’aspiration nationale, l’effort vers l’unité ne commencera que vers 1840, lorsque les fausses idoles du temps de Bœrne seront renversées, lorsque justice sera rendue à la Prusse.

Ces thèses historiques de M. de Treitschke ont soulevé d’ardentes polémiques. L’auteur est peu fidèle à son programme d’unir tous les Allemands dans une foi commune. C’est sur un ton de sarcasme et de rancunes cuites et recuites qu’il parle de tout ce qui est hostile à l’esprit protestant et prussien, du catholicisme, du libéralisme, du judaïsme. Metternich joue dans son histoire le rôle de traître, le roi de Saxe, le roi de Bavière, le personnage du bouffon. Des rois de Prusse, même d’un Frédéric-Guillaume III, il fait des grands hommes. Loin de se montrer magnanime, au lendemain de la victoire, et d’adoucir les anciennes dissensions, il ne veut pas que les Allemands oublient de quelles erreurs ils ont été les victimes : « Il faudrait être fou pour ébranler l’alliance autrichienne,