bravoure, ses obscurs penchans. Désormais le sentiment des foules envahit la politique, pénètre l’histoire. En se faisant populaire, l’historien se fait national. M. de Ranke, qui représente si bien l’ancienne universalité de l’esprit allemand, s’intéressait également aux papes et aux Turcs ; il considérait le cours de l’histoire universelle d’un œil curieux, impartial et placide, comme s’il habitait une autre planète. Au contraire, M. de Treitschke prend pour devise le paradoxe de Lessing qu’on ne peut être que l’historien de son temps et de son pays, que l’histoire contemporaine est seule réelle, seule vivante, que les origines lointaines ne nous intéressent que par leurs relations avec le présent, les peuples étrangers par leurs rapports avec le nôtre. Ecrire l’histoire contemporaine, c’est agir sur ses concitoyens, devenir une puissance parmi eux, un juge et un justicier, qui montre les fautes et le châtiment, absout ou condamne dans l’intérêt de l’avenir. Ainsi comprise, l’histoire se transforme en œuvre d’éducation nationale, d’autant plus nécessaire en Allemagne que l’unité y est plus récente, et qu’encore, en 1866, les Allemands se canonnaient entre eux. Il s’agit de les mettre d’accord sur les révolutions nécessaires, afin de créer l’union, la stabilité intérieure. Il faut aux peuples une histoire comme il leur faut une religion, une source toujours jaillissante de fortes émotions et de piété fervente envers les grands hommes d’état et de guerre qui ont fait la patrie, et qui sont pour un peuple l’incarnation et le symbole de ses plus hautes aspirations et de ses meilleurs instincts.
Aussi M. de Treitschke écrit-il avec une flamme communicative. Il veut, être lu de tous ; il s’attache à l’agrément de la forme, à l’intérêt du récit. Point de chronologie sèche, ni de descriptions de batailles. A côté des événemens politiques, il peindra la bonhomie naïve, la gaucherie des vieilles mœurs, cette pauvre vie provinciale de la fin du XVIIIe siècle, qui contraste avec la poésie, l’idéalisme allemand ; toute la partie qui traite du mouvement littéraire, du vague sentiment d’unité que les Allemands cherchent d’abord confusément dans leur art et dans leur musique, est exposée avec autant de finesse que de pénétration et de goût. Il semble qu’il ait pris modèle sur l’histoire d’Angleterre de Macaulay. Comme Macaulay, il apporte à sa tâche d’historien des habitudes d’essayist, de polémiste incisif et d’orateur. Ce que Macaulay a accompli pour la glorification du parti whig, M. de Treitschke l’a tenté pour fonder en Allemagne le culte de l’état prussien.
Deux forces vitales ont créé l’Allemagne moderne, le protestantisme et la Prusse. Dès les premières pages, dans la courte introduction qui reprend les événemens à partir du traité de Westphalie,