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nobles esprits, un Tocqueville et un Bastiat, ont portés sur leurs compatriotes. Comme trait caractéristique de la famille, il insiste sur le petit nombre des enfans de la bourgeoisie. La population de la France a besoin pour doubler décent cinquante ans, l’Allemagne de cinquante-cinq ans. Aussi l’avenir colonial de ce pays est-il singulièrement restreint. Il semble condamné à rester européen, tandis que le monde anglo-saxon, slave, germain se partagera l’empire du monde. L’éducation est pour les Français une autre cause d’infériorité : il ne leur en reste que des souvenirs haineux de contrainte et de révolte ; pour des Anglais et pour des Allemands, les impressions de jeunesse répandent la gaîté et la fraîcheur sur la vie entière. Moins brutales que les mœurs allemandes, les mœurs françaises ne sont peut-être pas plus corrompues ; mais une frontière indécise rapproche dans le monde parisien la bonne société de la mauvaise, et la littérature prend à tâche de faire dans toutes les classes une propagande d’immoralité.

Selon cette psychologie du caractère français, M. de Treitsehke explique la marche de notre histoire depuis un siècle. Imbu des doctrines du socialisme d’état, il est particulièrement sévère et dédaigneux pour le règne de Louis-Philippe, qu’il intitule : Les jours dorés de la bourgeoisie. Il n’y voit que la domination d’une classe égoïste et arrogante, insoucieuse des intérêts populaires, il ne tient pas compte de la réforme sociale accomplie par la loi sur l’instruction primaire, des travaux publics, etc. Il suit les accès chroniques ou aigus de cette maladie révolutionnaire que la France a cherché à inoculer aux autres États d’Europe. Car c’est là un dernier trait que ce besoin de mission pour des principes abstraits, au nom desquels s’accomplissent des révolutions sanglantes ; mais aujourd’hui l’expérience est décisive, et les Français font en quelque sorte hors de leurs frontières du prosélytisme à rebours. Grâce à eux, une réaction monarchique se produit dans toute l’Europe. On devine, sans qu’il soit besoin d’insister, quel parti M. de Treitsehke, dans une édition nouvelle, tire de notre toute récente histoire on faveur des idées qu’il préconise. La célébration du centenaire de 89 lui fournit, à ce point de vue, des réflexions cruelles. Il espère toutefois que leur étonnante vitalité relèvera les Français de cette décadence dont, ajoute-t-il, la civilisation souffrirait. Il admire la science française comme gage de ce relèvement. « Mais la génération présente ne verra pas la fin de ces combats. »

Lors de l’apparition du livre de M. Treitsehke, M. Louis Bam-berger en signalait dans une brochure spirituelle et mordante les exagérations et le parti-pris[1]. Avouons d’ailleurs qu’on a beau

  1. Ueber Rom und Paris nach Gotha, oder die Wege des Herrn von Treitschke.