situation qui s’est immédiatement produite, où conservateurs et libéraux dissidens ont paru faire campagne ensemble. Malgré tout, le ministère a refusé de se laisser imposer une politique protectionniste. Il a tenu tête à l’orage, et il a fini par retrouver sa majorité, par avoir la victoire du scrutin ; mais les divisions des libéraux venaient d’éclater, les passions s’étaient enflammées. L’irritation était surtout extrême contre le président du congrès, M. Martos, que les ministériels accusaient de défection, et, lorsqu’on a voulu revenir au suffrage universel, il était évident que les esprits n’avaient plus assez de calme pour discuter une question aussi grave, qu’on était en pleine crise.
Qu’est-il arrivé en effet ? Les séances qui ont suivi dans le congrès n’ont plus été que des scènes presque révolutionnaires. A peine le président, M. Martos, a-t-il paru sur son siège, il a été assailli d’objurgations et d’outrages par la majorité même qui l’avait élu. Vainement il a essayé de ramener la paix, de faire respecter son autorité, il n’a pu dominer le tumulte, et l’appui même qu’ont paru lui donner les conservateurs, n’a servi qu’à enflammer l’émeute parlementaire. On voulait forcer M. Martos à donner sa démission, il s’y est refusé, et c’est à peine s’il a pu échapper sain et sauf à la bagarre. Devant cette situation violente, créée après tout par ses amis, M. Sagasta n’a trouvé rien de mieux que de recourir à l’autorité royale ; il a couru à Aranjuez, où la reine-régente venait de s’établir avec le jeune roi pour la saison de printemps, et il est revenu avec un décret d’ajournement qu’il s’est empressé de porter au congrès. C’est bien pour le moment, la bataille est suspendue dans le palais législatif ; mais le chef du cabinet espagnol est dans cette alternative de prolonger indéfiniment le congé qu’il vient de donner au congrès ou de se retrouver en face des mêmes conflits de partis, des mêmes passions qui ne semblent pas près de désarmer. Ce qu’il y a de plus singulier, c’est que, si les libéraux ministériels qui ont fait tout ce bruit et ont provoqué la suspension des cortès avaient voulu servir les conservateurs en les aidant à ajourner toute discussion sur le suffrage universel, ils ont réussi. Le suffrage universel est maintenant ajourné, au moins à une autre session. Tout ce que M. Sagasta peut espérer de mieux, s’il réunit de nouveau les chambres aujourd’hui, c’est d’obtenir le vote du budget. La situation ne reste pas moins obscure et difficile pour tout le monde, pour le ministère, pour le parlement, — pour la régente elle-même, dont la popularité toutefois demeure seule intacte au milieu de ces mêlées des partis espagnols.
CH. DE MAZADE.