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insurrection agraire a éclaté. Les paysans se sont soulevés, proférant des cris de mort contre les propriétaires, saccageant les maisons, se livrant à ce qu’un journal piémontais appelle des « scènes d’horreur sauvage. » Il a fallu envoyer des troupes qui ont dû faire usage de leurs armes. Le sang a coulé, et le malheur est que cette espèce de sédition servile s’explique d’elle-même par la misère dans laquelle vivent depuis longtemps ces populations.

On a eu les fêtes de Berlin ; et voici la contre-partie, la réalité, — les grèves de Westphalie, les scènes meurtrières de la Lombardie. On n’est peut-être pas au bout, et, pour rétablir la paix sociale, il y aurait sans doute une politique plus efficace que celle des alliances d’ostentation, des appareils militaires qui, en épuisant les peuples, ressemblent à une menace perpétuelle pour la tranquillité du monde.

Les affaires de la régence ne vont pas toutes seules au-delà des Pyrénées. Il ne s’agit ici, sans doute, ni de grèves dans les mines comme en Allemagne, ni de troubles agraires comme en Italie, ni surtout de fracas royaux ou impériaux déguisant des négociations suspectes. Les affaires de l’Espagne n’ont pas moins pris, depuis quelques jours, pour d’autres causes, un caractère assez grave ou assez vif. Les conflits entre le ministère et les partis se sont singulièrement envenimés. Les incidens violens se sont succédé rapidement dans le congrès, surprenant et déconcertant le gouvernement. La confusion s’est mise un peu partout, si bien qu’il a fallu recourir à un de ces expédiens de circonstance qui ne décident rien, qui sont tout au plus un répit, la suspension temporaire des cortès ; tout a fini provisoirement par un décret d’ajournement que le président du conseil, M. Sagasta, a obtenu de la reine pour se tirer d’embarras.

C’est un peu en réalité la conséquence de toute une situation qui ne date pas d’hier, sans doute, qui ne paraissait pas même trop compromise il n’y a que quelques jours, mais qui s’est vite aggravée. Le fait est que le président du conseil, M. Sagasta, qui est au pouvoir depuis la mort du roi Alphonse XII, qui a été et est encore le ministre invariable de la régence, a vécu jusqu’ici d’expédiens et d’artifices. Placé entre une coalition de toutes les fractions libérales qui forment sa majorité, sans être toujours d’accord entre elles, et une opposition conservatrice qui s’est patriotiquement abstenue de toute hostilité déclarée contre lui, sans abdiquer ses opinions, il ne s’est soutenu depuis trois ans qu’à force de dextérité. C’est le triomphe personnel de M. Sagasta d’avoir réussi à sortir à peu près intact de toutes les crises qui se sont succédé, tantôt en modifiant partiellement son cabinet, tantôt en faisant des concessions aux plus impatiens de ses alliés, le plus souvent en louvoyant et en temporisant. C’est fort bien comme tactique. Il en résulte seulement que M. Sagasta, tout en restant maître du pouvoir, n’est jamais sûr de rien. Par ses concessions aux libéraux, ses alliés,