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trop raison ; ce serait être dupe d’une singulière illusion que de voir l’ordre, l’économie, la prévoyance dans ce budget qui reste plus que jamais un budget d’attente. Que M. le rapporteur Burdeau, M. le ministre Rouvier se plaisent à réhabiliter tout à coup la politique financière suivie depuis dix ans, — cette politique qui est justement un des griefs les plus sérieux du pays ; qu’ils mettent tout leur art à pallier les déficits, à faire apparaître des ombres d’amortissement, des mirages d’équilibre, à laisser entrevoir des plus-values, des améliorations prochaines, soit : c’est un procédé connu. Tout ce qu’on peut dire, tout ce qu’on peut déployer d’artifice ne détruit pas ce fait cruellement simple : c’est que depuis dix ans le budget des dépenses s’est gonflé sans mesure, que la dette non-seulement de l’état, mais des départemens, des communes, n’a cessé de s’accroître, que les déficits croissans, successifs ne sont couverts ou plutôt dissimulés que par des emprunts toujours nouveaux, que là où l’emprunt est toujours ouvert, sous toutes les formes, l’amortissement n’est qu’un mot dénué de sens, une mystification.

On peut expliquer, interpréter, jouer avec les chiffres : les faits sont toujours les faits, le résultat reste ce qu’il est, — l’aggravation indéfinie des dépenses publiques et de la dette. — Mais, remarque-t-on, rien ne s’arrête en ce monde, tout marche, même les dépenses ; il y a des travaux utiles à poursuivre, des écoles à élever, des armemens à compléter pour garantir la sécurité nationale ! Qu’est-ce que cela prouve ? La question n’est pas de tout immobiliser par un système de médiocre économie peu digne d’une grande nation. La question est de mettre la prévoyance dans ce qu’on fait, de mesurer les dépenses aux ressources dont on dispose, de ne pas jeter un milliard dans des constructions d’écoles pour plaire à un fanatisme de secte, de ne pas prodiguer les millions pour des chemins de fer électoraux, de réserver le crédit pour les jours de crise qui peuvent éclater à l’improviste. C’est précisément ce qu’on n’a pas fait, et c’est parce qu’on ne l’a pas fait, parce qu’on ne paraît pas même disposé à le faire, que la situation reste obscure, à peine voilée par l’éclat d’une exposition dont la France peut être fière sans en être plus rassurée pour le lendemain. C’est parce que l’optimisme et l’infatuation règnent dans le monde officiel que le pays, marchant aux élections, demeure inquiet d’une politique qui ne lui promet rien de ce qu’il demande, — ni l’ordre dans les finances, ni la paix morale.

Tandis que notre Exposition se déploie dans ses splendeurs séduisantes et que nos partis se débattent dans leur stérilité brouillonne, les affaires de l’Europe ont leurs bons et leurs mauvais jours, leurs incidens et leurs contrastes. Des galas à Berlin pour recevoir le roi Humbert, et des grèves un peu partout, en Westphalie, en Silésie, en Bohême comme en Lombardie. Des entrevues princières, des fêtes