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son désir ardent de nous satisfaire. Il s’efforçait aussi de calmer M. de Persigny et de le ramener à des appréciations plus conciliantes, mais sans réussir à le convaincre. « Il est inutile, répondait-il à ses protestations, de revenir surtout cela; oublions les altercations survenues entre nous. Je n’en crois pas moins rendre un service aux deux pays en posant sur-le-champ et sans ambages la question de guerre au sujet de votre intervention en Suisse. Sans cette franchise, vous pourriez croire que la résistance de la France ne sera pas plus sérieuse qu’en 1840, et vous vous avanceriez si loin qu’il ne tous serait plus possible de reculer. » — « Vous vous méprenez sur nos intentions, répliquait vivement le ministre prussien ; il y a là un malentendu qu’il est de mon devoir de ne pas laisser subsister. Jamais il n’est entré dans notre pensée de heurter de front la France, d’agir sans son assentiment et, à plus forte raison, de nous coaliser contre elle. » — « J’ai brisé l’entretien, écrivait M. de Persigny, car j’avais été assez durement explicite dans notre dernière conversation pour n’avoir pas à recommencer. Du reste, M. de Schleinitz, loin de s’offusquer de mon attitude, m’a comblé d’égards ; il m’a engagé à un diner en me laissant le choix du jour pour bien marquer qu’il le donnait en mon honneur. » — M. de Persigny triomphait, et comme M. de La Hitte s’était permis, à maintes reprises, de le rappeler à la modération et aux traditions de notre politique[1], il se donnait le plaisir des dieux et lui écrivait glorieusement : «Vous le voyez bien, général, que la fermeté et l’énergie de langage ne nuisent pas à la diplomatie! On aura pu me reprocher, peut-être, un excès de vigueur ; mais le

  1. Dépêche du général de La Hitte à M. de Persigny — « Je comprends que vous ne jugiez pas à propos d’entretenir le cabinet de Berlin de l’intérêt que nous portons aux états secondaires: mais lorsque la Prusse s’efforce, pour faciliter le succès de ses projets d’agrandissement, de répandre autour d’elle la croyance que nous les favorisons, nous sommes bien obligés, par fidélité même au système de neutralité que nous avons adopté, de détromper ceux des gouvernemens germaniques qui viennent se plaindre à nous de notre hostilité. Nous ne pouvons oublier que la protection de l’existence des petits états est un des intérêts essentiels de notre politique, que le jour où ils viendraient à disparaître, nous aurions éprouvé un grave échec et que la position de la France s’en trouverait notablement affaiblie. Sans doute, des circonstances impérieuses peuvent nous imposer la loi de ne pas lutter aussi énergiquement que nous l’eussions fait à une autre époque, contre les tentatives dirigées vers un pareil but; nous pouvons même penser qu’en les combattant ouvertement nous risquerions, sous un certain point de vue, d’en augmenter les chances de succès, et ces considérations suffiraient pour justifier aux yeux des hommes sensés la réserve de notre attitude. Mais notre responsabilité serait sérieusement compromise si on pouvait nous reprocher un jour d’avoir abandonné pour des intérêts secondaires et passagers les traditions sur lesquelles, pendant une longue série de siècles, sous Henri IV, comme sous Richelieu, comme sous Napoléon, se sont fondées la gloire et la puissance de la France. »