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exceptionnelles que la Providence n malheureusement données à la charmante interprète du rôle d’Eselarmonde. J’aimerais entendre évoquer les élémens avec plus de poésie et moins d’acuité. En revanche, la description plus symphonique que vocale de la fantasmagorie lunaire est fort remarquable, pleine de mouvement et de vie. Elle équivaut à la vision même, à la vision d’une chasse lancée à fond de train. Le thème de l’évocation ; très rythmé, très précipité, sonne à l’orchestre, avec une autre puissance que tout à l’heure sur les lèvres de la jeune fille. De rudes fanfares éclatent ; Esclarmonde les redit à pleine voix, et des clochettes tintent joyeuses à l’unisson de ses cris joyeux. À la bonne heure ! voilà qui est bien ; cela est serré, franc et fort.

Les deux tableaux suivans n’en font qu’un ; ils se succèdent sans interruption et ne sont que les deux phases d’une même scène d’amour : avant et après. Pendant, l’on baisse un rideau et l’orchestre joue seul. Ce long, ou ce double duo, est évidemment le point culminant et le point délicat de l’ouvrage. Il en est sans contredit la meilleure page, celle où M. Massenet s’est le plus heureusement souvenu de lui-même. Nous disons souvenu, car, malgré la grâce, la tendresse, la passion de cette scène d’amour, il ne nous semble pas que le musicien se soit ici dépassé, qu’il ait fait un grand pas en avant et donné, en un sujet qui convenait si bien à sa nature, tout ce que nous pouvions espérer, tout ce que nous espérons encore de lui.

Roland s’avance à travers les buissons fleuris de l’Ile enchantée. Les génies l’entourent de leurs rondes gracieuses et l’invitent à les suivre. Charmans dessins d’orchestre, à peine esquissés : toute la transparence et la fluidité possibles ; une musique qui semble la vibration de l’atmosphère elle-même : des alternatives heureuses de rythme sautillant et langoureux tour à tour ; partout cette main légère qu’on pouvait être sûr de retrouver ici : jolie entrée et jolie cantilène d’Esclarmonde ; dans les préliminaires du duo, un peu d’incertitude, de gaucherie voulue qui ne messied pas, et le duo commence. Certes, il est mélodieux, ce duo ; harmonieux aussi ; mais là encore, là surtout, j’attendais autre chose : un rythme plus original, moins familier à nos oreilles que ce rythme sur lequel ont flotté déjà tant de duos d’amour, depuis celui de Roméo jusqu’à celui d’Eve et à celui du Cid, peut-être le plus touchant. Les réponses lointaines du chœur : Hymen ! Hyminée ! font bien ; à la lecture du moins, car au théâtre on ne les entend pas. La progression qui termine le duo n’est pas non plus très nouvelle : un crescendo haletant monte de note en note, et une explosion trop prévue amène la chute du rideau. Il était temps de dérober sous les roses les ardeurs touchant à la frénésie d’Esclarmonde et de son bien-aimé. Il était naturel d’en indiquer en quelques mesures le