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à la fois un petit Tristan et un petit Parsifal français ; l’imitation, ou l’aspiration, inconsciente, mais réelle, se manifeste par des signes multiples. Il serait facile d’indiquer dans Esclarmonde des réminiscences de mélodie ou de rythme : l’entrée d’Enéas (un personnage épisodique) rappelle l’entrée de Walther dans les Maîtres chanteurs ; certains appels d’Esclarmonde ressemblent aux cris sauvages de Brunehild, la Valkyrie. Passons du détail à l’ensemble, à la conception même de l’œuvre. Le choix d’un sujet féerique est très conforme à l’esthétique wagnérienne. Le genre fantastique a pour la musique des avantages et des inconvéniens. Il offre cet avantage, entre autres, que la musique, étant par nature un langage idéal et forcément assez vague, peut se prêter merveilleusement à l’expression de la légende ou du rêve, à l’évocation d’êtres singuliers et mystérieux, qui ne nous doivent ni un compte rigoureux, ni les raisons logiques de leurs sentimens et de leurs actions. Mais le fantastique, et voici le danger presque fatal que Wagner n’a pas toujours évité, le fantastique convient surtout à la musique sans paroles ou du moins sans représentation. La réalité de la scène, réalité relative pourtant, mais encore trop absolue, risque de le ridiculiser. Le théâtre est trop matériel pour les chefs-d’œuvre du genre : pour Obéron et le Songe d’une nuit d’été ; il ne gâterait pas moins l’admirable Damnation de Faust. On peut entendre des fées et des génies : il ne faut pas les voir. Si habile que soit le décorateur, si artiste surtout que soit le dessinateur des costumes, et nous avons vu comme ils le sont ici, des figurans ne sauraient ressembler à des anges ; un jardin magique a facilement l’aspect d’un potager, le fameux rideau de roses n’est qu’une vaste pièce de lustrine peinturlurée, et les apparitions dans la lune rappellent les réclames lumineuses qui recommandent, le soir, aux badauds du boulevard, le cacao Van Houten ou les pianos-quatuor.

La musique, autant que le poème d’Esclarmonde, trahit des préoccupations wagnériennes. Non pas que l’œuvre soit tout entière selon la doctrine du maître ; les purs y trouveront beaucoup à redire ; mais la tendance est incontestable, l’effort visible et d’ailleurs intéressant. M. Massenet d’abord abuse ici du leitmotiv, qui pourrait bien finir un jour, tout comme les roulades italiennes, par devenir insupportable. Une phrase, assez banale du reste, entendue dès le prologue et sur laquelle, à la vue de l’impératrice, le chœur chante ces paroles : O divine Esclarmonde ! revient au cours de l’opéra avec une telle insistance, qu’on arriverait aisément à la prendre en horreur. Le motif de l’évocation, celui du duo nuptial, ne se répètent pas avec moins de ténacité.

Autre tendance wagnérienne : l’orchestre a souvent le rôle principal dans l’ouvrage de M. Massenet. C’est même à lui qu’est allé, entre le