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« Étudiez, dit-il, les mœurs et la vie athéniennes dans les délicieux dialogues de Platon ou dans les comédies d’Aristophane, ou la vie romaine dans les épitres d’Horace, ou la vie au moyen âge dans les contes de Boccace ou dans Chaucer, ou la vie orientale dans les Mille et une nuits, ou dans les livres de Confucius, ou retournez à la Grèce antique telle que nous la représentent l’Odyssée, les poèmes d’Hésiode, les odes de Pindare, toutes ces sociétés si diverses ont pour nous je ne sais quel charme idéal, et nous y découvrons sans peine des hommes vraiment hommes, aussi heureux que sages. Ces sociétés sont mortes et nous n’avons aucune envie de les ressusciter ; nous sommes mieux comme nous sommes, tous ces âges classiques de la poésie et de l’histoire avaient leurs vices, leurs folies, leurs funestes ignorances, leurs préjugés et leurs crimes ; ils n’ont pas laissé de connaître la sagesse, la beauté, le bonheur, quoiqu’ils ne connussent ni la vapeur, ni le gaz, ni l’électricité, ni les locomotives, ni l’imprimerie, ni les gazettes, ni les railways souterrains, ni les cartes postales. » On voit combien M. Harrison est loin de s’entendre avec l’auteur anonyme. On ne lui persuadera jamais qu’Homère, qu’il ne se lasse pas de relire et d’admirer, eût été un plus grand poète s’il avait connu le phonographe Edison, ou que l’exposition de l’Orestie serait beaucoup plus intéressante si, renvoyant au magasin des vieux décors ces torches de résine dont la flamme rouge annonça d’île en île, de montagne en montagne, la prise et l’incendie de Troie, Eschyle avait mis en scène un employé du télégraphe apportant à Clytemnestre une dépêche d’Agamemnon.

Croirons-nous que, comme l’assure l’auteur anonyme, les conférenciers du XXXe siècle ratifieront tous les jugemens qu’il porte sur nous, qu’à son exemple ils définiront l’âge des machines un siècle très inventif et très admirable, mais plein d’inconséquences et de contradictions ? J’aime à penser que les conférenciers du XXXe siècle, s’il y en a, seront quelque peu philosophes, et tout philosophe sait que les contradictions sont l’inévitable partage de l’esprit humain, que chaque siècle a eu les siennes, et que c’est là le grand ressort qui fait aller le monde. Comme on l’a remarqué, il fut un temps où le grand-turc faisait couper toutes les têtes qui lui déplaisaient et pouvait rarement garder la sienne, un temps où le saint-père avait des rois pour vassaux et ne pouvait ôter un privilège à la république de Lucques, où l’empereur était roi des Romains, sans autre droit que celui de tenir l’étrier du pape, où les Anglais servaient leur souverain à genoux, mais le déposaient, l’emprisonnaient et le faisaient périr sur l’échafaud ; où des hommes qui faisaient vœu de pauvreté obtenaient, en vertu de ce vœu, jusqu’à 200,000 écus de rente, où le chancelier de France était le premier personnage de l’état et ne pouvait manger avec le roi, où une intendante était reine en province et bourgeoise à la cour, où