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de la confession qui peut quelquefois suppléer à l’expérience directe et personnelle de la vie. Ses regards se sont donc arrêtés à ce que les hommes lui montraient d’eux-mêmes ; et, parce que les conventions de la vie sociale lui cachaient les différences, il a cru qu’elles n’existaient pas. Qu’en avait-il effectivement besoin, de les connaître, puisque, riche de son bien et dépourvu d’ailleurs de toute ambition, il ne demandait ni n’attendait rien du monde qu’à peine un peu plus de considération que sa famille et sa modeste fortune ne lui en assuraient, du droit de sa naissance ? Il n’a pas non plus, comme Bossuet ou comme Pascal, médité solitairement sur le problème de la destinée, sur le sens de la vie, sur les mystères de la religion, non pas même sur les grands intérêts de la politique ou de la société. Sa politique pacifique et sa religion disputeuse sont encore et toujours la religion et la politique d’un bourgeois de Paris. Il se revanche de croire, en ergotant sur ce qu’on lui permet de ne pas croire ; et, s’il aime peu la guerre, c’est qu’elle interrompt toujours un peu le train familier de ses occupations, et il n’a pas enfin, comme son ami Molière, couru les aventures à travers la province ; il n’a pas vu comme lui combien les usages, les mœurs, et les hommes par conséquent diffèrent, à Pézenas ou à Fontenay-le-Comte, des hommes, des usages, des mœurs de Paris ; et, s’il a pu quelquefois mesurer la distance qui sépare un grand seigneur, même disgracié, d’un bourgeois de Paris, même apparenté dans la robe, — comme à l’occasion d’une petite affaire qu’il eut avec Bussy Rabutin, — du moins n’a-t-il jamais éprouvé ce que Molière, dans ses dures années d’apprentissage, a dû dévorer d’humiliations ou d’insultes amères. De telle sorte que, sans rien dire de leur génie, qui en faisait des hommes d’une autre espèce que lui, tandis que la plupart des écrivains du XVIIe siècle sortent par quelque endroit de leur condition originelle, Boileau peut-être est le seul, avec La Fontaine, que je mets à part, pour d’autres raisons, qui soit demeuré de la sienne, et dont on peut dire ainsi qu’elle a passé tout entière dans son œuvre.

Nous ne le regretterons pas pour lui, puisqu’aussi bien, si nous cherchons le secret de sa durable autorité, nous ne le trouverons pas ailleurs que dans cet accord, cette convenance entière, cette coïncidence presque parfaite de ses qualités ou de ses défauts avec les défauts habituels et les qualités moyennes de l’esprit français, bourgeois et classique. Encore aujourd’hui même les qualités que nous prisons le plus, — bon sens et clarté, logique et naturel, esprit et raison, — ce sont celles qu’il a possédées ; et, quant à ses défauts, nous en tenons toujours. Car, quel est le Français que l’énormité d’imagination d’un Hugo, par exemple, n’étonne ou ne scandalise