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L’opinion qu’il invoquait était celle des représentans des petites cours, qu’il écoutait trop volontiers. Ils l’excitaient à plaisir pour se donner de l’importance et s’immiscer dans des affaires qui ne les regardaient pas. En sortant de son cabinet, ils s’empressaient de colporter ses paroles dans les salons, de les rapporter au ministre des affaires étrangères en les envenimant. Leur jeu était de contrecarrer la politique envahissante de la Prusse, et pour eux le moyen le plus sûr était de compromettre ses rapports avec la France.

Après sa véhémente altercation avec le comte de Brandebourg, M. de Persigny crut devoir se mettre en quarantaine. Il évita toute rencontre avec les hommes du gouvernement. « Je n’ai pas à les rechercher, disait-il, la plus grande faute serait de paraître redouter une décision énergique du cabinet. » — Peu de jours après, le corps diplomatique fut invité à un concert de la cour. M. de Persigny en inféra que le roi ne donnait ce concert que pour se ménager un entretien avec lui. Il fut déçu. Frédéric-Guillaume par la beaux-arts, littérature, avec sa verve habituelle ; mais il évita, de parti-pris, toute allusion politique. — « Je n’en reste pas moins convaincu, écrivait M. de Persigny, que le gouvernement prussien cédera et répondra d’une façon satisfaisante au mémoire du général de La Hitte. Il faut qu’il ait une leçon et une leçon sérieuse. Il importe qu’il sache qu’on ne doit plus jouer avec la Finance et avec un Napoléon. Sa conduite envers nous est indigne après avoir tant profité de notre amitié. Il faut qu’il le regrette sincèrement. Je connais bien maintenant mon terrain ! Nous ne serons estimés qu’en nous faisant craindre. Après cette leçon, les rapports ne deviendront que plus convenables. Il ne faut pas nous le dissimuler, ces gens sont égarés par des préjugés, comme les légitimistes en France ; il leur en coûte de nous considérer comme un gouvernement sérieux. Eh bien ! qu’ils nous considèrent désormais comme un gouvernement dangereux, et tout ira bien. » Ne pas perdre le sang-froid, rester maître de sa parole, ne pas révéler ses déceptions, contenir ses ressentimens, avancer et reculer suivant les circonstances, poursuivre le but sans défaillances et sans emportemens est un art qui ne s’acquiert pas du jour au lendemain. M. de Persigny croyait y suppléer par une altitude inusitée dans les chancelleries. « Il faut, disait-il, que la diplomatie française ait depuis longtemps tenu à l’étranger un langage bien peu digne de la France, pour que mon entretien avec M. de Brandebourg ait causé une si grande; sensation dans le monde politique et diplomatique de Berlin. — « Notre gouvernement, lui avais-je dit, entend être traité par l’étranger comme s’il avait une légitimité de huit siècles et l’hérédité pour principe. » Cette phrase a paru ici d’une outrecuidance