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contemporain, en le mêlant à nos controverses, nous le ferions trop peu ressemblant.

Non, assurément, Boileau ne veut pas qu’on imite la nature tout entière, mais seulement la nature humaine ; car, pour l’autre, la nature extérieure, cette nature mouvante, sensible et colorée que Rousseau découvrira plus tard, — en haine de la civilisation et de la société de son temps, — le XVIIe siècle ne l’a pas connue. Je précise et j’appuie. Le XVIIe siècle a joui de la nature, mais il ne l’a pas connue. Boileau lui-même, entre deux Satires, a joui de son jardin d’Auteuil, puisqu’il se l’est payé, puisqu’il l’a vendu quand il n’en a plus pu jouir ; il s’est plu à Hautile, chez son neveu, « l’illustre monsieur Dongois, » greffier en chef du parlement, puisqu’il y est allé, ou à Bâville, chez les Lamoignon ; il a aimé, comme nous, le soleil, les bois, et la verdure ; il a chassé, il a même pêché à la ligne, mais « sans phrases ; » et il n’a point fait de la « littérature » avec des plaisirs qui lui paraissaient trop naturels, je crois, sinon pour être rappelés ou contés en souriant, dans les vers d’une épître agréablement familière, du moins pour être « célébrés » ou « chantés. » Ce n’en est pas la mode, en son temps. La forte personnalité des écrivains d’alors absorbe en soi cette nature parmi laquelle, au contraire, depuis plus de cent ans, nous nous répandons jusqu’à nous y anéantir. Ou, si l’on veut encore, ils ne jouissent de la nature que comme nous faisons de respirer, par exemple, ou de vivre, sans presque nous en apercevoir, quoique ce soit pourtant un plaisir, et sans jamais éprouver le besoin de connaître le jeu de nos organes ou la composition de l’atmosphère. Y songeons-nous ? C’est un signe que nous sommes malades. Aussi, parce qu’il est de son siècle, et parce qu’il est de sa condition, la nature extérieure, qui tient si peu de place dans l’œuvre de Boileau, où je ne la vois représentée que par quelques saules,

Et des noyers souvent du passant insultés,

n’en a-t-elle pas plus dans sa doctrine que ce qu’elle en peut occuper dans une « élégante idylle. » Pour Boileau, comme pour Molière, le mot de « nature » ne signifie que ce qu’il peut signifier pour des Parisiens du XVIIe siècle ; et nous ne devons l’entendre uniquement que de la nature humaine.

Encore, elle-même, cette nature humaine, la copierons-nous au hasard, sans discernement et sans choix ? Et s’il y a, par exemple, des actions indifférentes ; s’il y en a de basses ; s’il y en a même d’ignobles, fonctions plutôt qu’actions, qui nous rabaissent et qui nous humilient, naturelles pourtant, faudra-t-il qu’en faveur de leur naturel