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du Bellay, Desportes même et Bertaut en sont pleins ; voiture aussi. Mais Corneille seul peut-être en avait fait de parfaitement naturels, et, de son vivant même, ils étaient comme ensevelis dans l’oubli avec les comédies de sa première jeunesse : Mélite, la Veuve, la Galerie du Palais. C’est ce vers naturel, qui ne cesse pas d’être un vers en exprimant les choses de la vie commune, que les contemporains reconnurent et applaudirent dans les Satires de Boileau. C’est ce vers naturel, voisin de la prose, comme en latin celui des Satires et des Epîtres d’Horace, mais toujours plein de sens, et relevé par la justesse du trait, le choix du mot propre, la surprise de la rime rare, qui fit école. C’est ce vers naturel enfin dont nous pouvons, dont il faut savoir encore aujourd’hui, si le coup d’aile, si l’inspiration, si la poésie même y manquent, reconnaître pourtant, et apprécier la vigueur, la précision, la probité surtout,


Car ce vers, bien ou mal, est toujours quelque chose ;


et il le dit même généralement bien. De prononcer là-dessus si, comme tous les critiques dont l’ambition est de joindre l’exemple au précepte, Boileau n’a pas pris plus d’une fois les bornes de son génie pour celles même de l’art, c’est une autre question. Mais, à sa date, on ne saurait exagérer l’importance du service rendu. Les Satires ont sauvé la poésie française des dangers urgens qui la menaçaient tout au début du règne de Louis, XIV : emphase d’un côté, préciosité de l’autre ; et c’étaient bien les mêmes dont les Provinciales avaient sauvé la prose.

Aussi n’est-il pas étonnant qu’aussitôt qu’elles eurent paru, les poètes, — je veux dire les vrais poètes, Molière, La Fontaine, Racine, avec tous leurs amis, — se soient comme groupés autour d’elles. Lié lui-même avec eux depuis déjà quelques années ; toujours prêt à les soutenir et à combattre pour eux ; ayant publié, comme on l’a dit, ses jolies Stances sur l’Ecole des femmes, et composant alors sa Dissertation sur Joconde, ce serait sans doute aller trop loin, beaucoup trop loin, que de voir dans les Satires, autant que l’expression des haines littéraires, des doctrines, des idées de Boileau. celle des idées aussi, des doctrines, et des haines de Racine, de La Fontaine, de Molière. On ne faisait pas en ce temps-là, ou, pour mieux dire, on ne faisait plus de Manifestes littéraires. Mais ce qui est certain, c’est que leurs ennemis, à tous quatre, étaient les mêmes, et que, par exemple, les « censeurs » de l’Ecole des femmes, à commencer par M. Boursault, devaient un jour être ceux de Britannicus et de Phèdre. Nous ne pouvons pas douter non plus que, dans ces cabarets littéraires, Au Mouton blanc, A la