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Tirés d’une satire de Boileau, pourquoi ces vers ne le seraient-ils pas d’une tragédie de Voltaire ? Leur prosaïsme assurément n’y ferait point un obstacle. Est-ce que je veux d’ailleurs transformer l’auteur des Satires eu un précurseur de la « tolérance » ou de la « libre pensée ? » Je pourrais m’en donner le plaisir paradoxal, — et au besoin le droit même, — rien qu’on rappelant que, dans sa vieillesse, il faisait ses délices du fameux Dictionnaire de Bayle. Mais si plutôt, comme je le crois, ce ne sont là que des boutades, je dis seulement que ce sont celles d’un bourgeois de Paris au XVIIe siècle, et déjà plus voisin de Voltaire, qui va naître, qui est né, que de Pascal et de Bourdaloue, qui sont morts. Comme il en a le sang, Boileau en a l’humeur ; il en a les qualités, le ferme et franc bon sens, la gaîté robuste, la verve railleuse et sarcastique, avec une pointe de libertinage. Nous verrons tout à l’heure qu’avec les qualités, il en a les défauts, les « manques, » si je puis ainsi parler, et, quoique artiste enfin, presque tous les préjugés. Le moins caractéristique et le moins déplaisant n’est pas celui qu’il nourrit, ou qu’il a sucé avec le lait, contre les gens de lettres qui ne sont que gens de lettres, les Saint-Amant ou les Colletet,


Qui vont chercher leur pain de cuisine en cuisine,


gens de peu, gens de rien, qui écrivent pour vivre, espèces de bohèmes du temps, qui n’ont pas d’état dans le monde. Voltaire lui-même, au siècle suivant, n’affectera pas plus de mépris pour Jean-Baptiste Rousseau, le fils du cordonnier de la rue des Noyers, ou pour Jean-Jacques, le fils de l’horloger de Genève.

Durement élevé, par une vieille domestique, entre un père déjà plus que quinquagénaire, et de grands frères dont il était venu rogner la modeste part d’héritage, on le mit au collège d’Harcourt vers l’âge de huit ou neuf ans. Il y faisait sa quatrième, lorsque ses études furent interrompues par un grave accident ; il fallut, dit-on, le tailler de la pierre ; et l’opération fut sans doute mal faite, puisqu’il s’en ressentit toute sa vie. Il passa du collège d’Harcourt au collège de Beau vais. On le destinait à l’Eglise, et, au sortir de sa philosophie, pendant un an, il étudia la théologie en Sorbonne. Mais, en ce temps-là, si du moins nous en croyons un témoin très autorisé, ce la théologie n’était qu’un amas confus d’opinions humaines, de questions badines, de puérilités, de chicanes, de raisonnemens à perte de vue ; .. tout cela sans ordre, sans principes, sans liaison des vérités entre elles ; barbarie dans le style, fort peu de sens dans tout le reste ; » et Boileau s’en dégoûta vite. Aussi bien ni Pascal, ni Bossuet, ni Malebranche n’avaient-ils