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par M. Paul Dubois, comptent déjà parmi les plus nobles ouvrages dont notre pays peut s’enorgueillir. On ne saurait que se féliciter de l’heureuse rencontre d’inspiration patriotique qui a mis cette aimée en présence, aux yeux des étrangers, dans un concours spontané, deux artistes d’une telle supériorité.

Tout le monde connaît cette Jeanne d’Arc de la place des Pyramides, conçue et exécutée par M. Fremiet sous le coup de nos désastres, comme un appel à la concorde et à l’espérance. C’est une figure déjà sacrée pour l’imagination populaire, et il n’est guère de coin de terre française où elle n’ait pénétré par le bronze, par l’estampe ou par la photographie. Qui donc a reproché à cette jeune fille, si hardiment posée sur sa haute selle et contenant d’une main ferme son robuste destrier, d’être trop courte et trop frêle, comme si le contraste de cette vierge faible et de cette monture solide n’accentuait pas précisément, avec un bonheur rare, l’héroïsme fervent et la force morale de la paysanne inspirée ? On pouvait tout au plus désirer, pour ce groupe si vivement empreint de l’esprit du IVe siècle, un entourage plus conforme à son style ferme et précis, quelque chose de moins écrasant que les masses énormes des maisons hautes et plates entre lesquelles elle se trouve un peu écrasée. M. Fremiot a pensé autrement ; il a cru qu’il fallait refaire sa statue ; lui seul avait le droit de se juger si sévèrement. Hanté par cette sainte vision, il a voulu, dans son œuvre nouvelle, lui donner des apparences plus réelles, établir des rapports plus classiques entre les proportions de la chevaucheuse et celles de son cheval. L’attitude, d’ailleurs, est restée la même. Jeanne, cuirassée de pied en cap, l’oriflamme à la main, semble toujours arrêter sa monture, sur la butte Saint-Roch, devant la brèche. Figure réelle par les détails précis et exacts de l’équipement, figure idéale en même temps par la couronne de lauriers qui rayonne autour de sa tête nue comme un nimbe. Mais, sur la place des Pyramides, le caractère idéal était plus franchement marqué, tandis que, dans l’œuvre nouvelle, le sculpteur semble avoir voulu se montrer plus naturaliste. Cette fois Jeanne est une vraie paysanne. Sa gorge, naguère écrasée sous l’armure, s’accuse maintenant, grossie et développée, sous la chemise de maille, aux échancrures de la cuirasse ; sa taille s’est ramassée, sa ceinture s’est épaissie. Est-ce plus vrai au point de vue historique ? Nous n’en savons rien puisque nous n’avons aucun portrait de Jeanne. Ce que nous disent pourtant les contemporains, c’est que, toute robuste qu’elle fut et franchement paysanne, elle était plutôt petite et belle. A la cour de Chinou, comme au tribunal de Rouen, on demeura frappé de l’aisance de ses allures comme de l’à-propos de ses paroles. Un témoin oculaire