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années, dans l’art comme dans la littérature, c’est que tout hors-d’œuvre est condamnable s’il détourne l’esprit du principal. Nous ne saurions louer chez M. Chartran ce que nous avons blâmé naguère chez M. Flameng.

M. Tattegrain, qui n’était pas obligé, comme M. Chartran, de couvrir une vaste surface, a donné vraiment de trop grandes proportions à une anecdote historique. Huit jours après la victoire des Dunes, en 1658, le jeune Louis XIV visita, paraît-il, en compagnie de Turenne, le champ de bataille, qu’il considéra soigneusement, « malgré l’horreur des cadavres que les vents avaient découverts dans les sables. » Louis XIV, à cheval, ayant ses arçons remplis de fleurs, se tient sous le nez un bouquet pour résister aux puanteurs qu’exhalent tous ces cadavres d’hommes et de bêtes, gonflés et Verdis, sortant çà et là du sable mouvant. Derrière lui se poursuit une lutte brutale et grotesque entre un tas de loqueteux, truands, infirmes, qui assiègent les carrosses et des gardes qui les bourrent de coups de hallebardes. L’œuvre est pleine de talent, en grand progrès sur la Soumission des Flamands de 1886, pour la vivacité de l’observation, pour la souplesse des figures, pour la tristesse solennelle du paysage admirablement éclairé ; mais l’erreur de proportions gâte toutes ces belles qualités. Dans la même salle, on peut assister à une autre tristesse de la victoire, au Lendemain de Rocroi. Ici, c’est le jeune Condé qui vient respectueusement contempler, sur un lit de camp, le corps du comte de Fuentès. Cette scène a été traitée avec gravité et talent par M. de Richemont. On ne saurait non plus s’arrêter avec indifférence devant les trois’ immenses toiles de MM. Chigot, Henri Martin, Gardette, qui montrent chez ces jeunes artistes, avec l’ambition d’aborder les grandes scènes de l’histoire, une partie des fortes qualités pouvant justifier cette ambition. Dans la toile que M. Chigot intitule Fuyant l’invasion, on voit, dans une plaine défoncée et boueuse, autour d’une charrette attelée de deux bœufs et chargée des trésors de l’église, se traîner, en chancelant, un abbé mitre et crosse, de vieux moines et des paysans ; le paysage est triste, les bêtes sont vigoureuses, les gens accablés ; le tout a un assez grand caractère de vérité naïve, malgré l’inexpérience du pinceau. Dans la Fête de la Fédération, il y avait plus d’une difficulté à représenter, défilant en plein soleil, autour de l’autel de la patrie, toutes les députations et corporations en costumes polychromes. M. Henri Martin n’a pas reculé. Les fédérés sont criblés d’une lumière vive et blanche qui les dépouille trop de leur consistance, mais qui est manœuvrée avec hardiesse et habileté. L’Épisode de la bataille de Sedan, la Mort