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parce qu’elle suppose, en effet, plus de force dans l’invention, plus de chaleur dans l’imagination, plus de suite dans la volonté, plus de science dans l’exécution. Presque tous nos peintres, à l’heure actuelle, soit par entraînement, soit par nécessité, se déshabituent trop vite des besognes de longue haleine ; lorsqu’ils veulent par hasard s’y reprendre, ils sont tout de suite essoufflés. Les grandes machines de Regnault. Lagrenée, Suvée, Berthélemy, Taillasson, Perrin, Monsian, Callet, qui garnissaient les hauteurs du Salon de 1789, n’offraient pas toutes d’égales réjouissances pour les yeux ; l’ordonnance en était souvent systématique et pédantesque, la couleur froide, terne ou désaccordée, le dessin fuyant, maigre et roide. Cependant on n’en reste pas moins surpris de l’aisance avec laquelle de nombreuses figures s’y groupent et s’y associent en des actions bien pondérées, et du grand nombre de morceaux qui nous peuvent encore intéresser soit pour l’habile maniement des formes, soit pour la recherche heureuse de l’expression. On sent, chez tous, cette forte éducation qu’ont reçue David, Gérard, Prudhon, Gros, et dont la tradition a été recueillie par les puissans chefs du romantisme, Géricault et Delacroix. On ne se croyait pas alors un maître avant d’avoir été longtemps un élève. Les études techniques, sérieusement commencées, étaient longuement et assidûment poursuivies. C’est par de longs et pénibles efforts qu’on s’exerçait à l’art difficile de la composition, cet art qu’on affecte de mépriser aujourd’hui pour se dispenser de le poursuivre, mais qui n’en reste pas moins nécessaire à qui veut faire une œuvre durable. Le métier, en effet, pour un peintre, ne consiste pas seulement ù brosser vivement un morceau d’accessoires ou un paquet de draperies, à modeler exactement une tête ou une main isolée, à bien saisir un geste, à bien rendre un mouvement ; il consiste encore, il consistera toujours à savoir combiner et coordonner, dans un cadre donné, plusieurs figures ensemble, de façon à en tirer un effet intéressant et expressif, de façon à donner aux yeux du spectateur le sentiment d’un tout indivisible et fortement constitué par les jeux combinés et associés de la forme et de la couleur.

Sous ce rapport, ne nous y trompons pas, nous avons plutôt perdu que gagné. Les quelques bons tableaux du Salon, qui portent, d’un bout à l’autre, la ferme empreinte d’un talent mûr et d’une conviction soutenue, ceux, par exemple, de MM. Bonnat, Henner, Hébert, ne sont que des études fragmentaires, n’impliquant que peu ou point d’effort imaginatif, peu ou point de renouvellement technique. Cependant après quelques promenades à travers ce fatigant déballage d’improvisations insuffisantes qui