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titre, s’étonner de le voir si peu au courant des affaires qu’il avait à traiter; il n’abusa pas de ses avantages. Au lieu de rendre hommage à sa réserve, notre ministre intervertit les rôles. « Le comte de Brandebourg, » disait-il, en rendant compte de cet incident, si pénible pour son amour-propre, « m’a déclaré qu’en gardant le silence, il n’avait pas eu la moindre idée d’être désagréable à la France, ni à ma personne, et qu’il regrettait de n’avoir pas eu l’occasion de s’en ouvrir avec moi. Il a mis du reste dans ses explications un accent de franchise militaire qui ne m’a pas permis d’insister davantage. »


II. — LES REFUGIÉS EN SUISSE ET LA QUESTION DE NEUFCHATEL.

La Suisse était en 1849 un foyer de conspirations; les révolutionnaires de tous les pays y avaient trouvé un refuge ; couverts par un droit d’asile excessif, ils inondaient l’Europe de manifestes incendiaires et tramaient l’assassinat des souverains. L’Autriche et la France, directement atteintes, étaient particulièrement autorisées à se plaindre; la Prusse, n’étant pas limitrophe, n’en subissait les inconvéniens qu’indirectement. Elle n’en fut pas moins la plus véhémente à réclamer du conseil fédéral leur expulsion. La question des réfugiés n’était pour elle, en réalité, qu’un prétexte ; elle espérait, sous le couvert d’une intervention militaire collective, motivée par des nécessités d’ordre et de sécurité, remettre la main sur la principauté de Neufchâtel.

Neufchâtel, en vertu de faits historiques antérieurs à 1789, était à la fois un canton de la république helvétique et une principauté prussienne. Il était sorti de cette bizarre législation plus d’une transformation internationale. La Prusse, après avoir cédé sa principauté à la France en 1806, l’avait reprise en 1814 ; elle l’avait autorisée ensuite à se rattacher plus étroitement à la confédération suisse, tout en se réservant un droit de protectorat. Cette situation hybride avait provoqué d’interminables contestations, que la loi fondamentale de la république helvétique, décrétée on 1848, avait singulièrement aggravées. Le cabinet de Berlin, en effet, se refusait à admettre que la nouvelle constitution pût préjudicier en rien aux décrets du roi de Prusse connue prince de Neufchâtel. Des notes acerbes furent échangées et, dans la séance du 25 janvier 1849, le président du conseil fédéral, en réponse à une interpellation, ne craignit pas, se sentant couvert par la France, de prendre à partie, publiquement et impertinemment, le roi Frédéric-Guillaume. « Souvenez-vous, disait-il, qu’un beau jour, en mars 1848, vous êtes monté à cheval, portant une immense cocarde tricolore germanique, suivi d’un nombreux état-major et, qu’agitant la bannière