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Mais pour mettre fin au pillage organisé du petit bien de 6,000 familles (les ventes d’immeubles inférieurs à 2,000 francs sont annuellement au nombre de 6,250), il faut agir plus radicalement. Il faut soustraire à l’action des créanciers ces meubles ou immeubles que l’on doit considérer, pris isolément, comme sans valeur, puisqu’on ne peut les vendre qu’en les consommant. Ce grand principe que « tous les biens du débiteur sont le gage de ses créanciers » n’a-t-il pas reçu déjà bien d’autres accrocs ? L’exception n’est-elle pas déjà fort étendue, en matière de faillites, quand le juge-commissaire fait état des meubles qui devront rester au failli ? N’y a-t-il pas inconséquence légale à permettre d’un côté la saisie de biens insuffisans à couvrir les frais, et à réduire d’un autre côté au quart, au cinquième, la saisie des appointemens de fonctionnaires et d’employés ? Le petit champ, le petit atelier, qui représentent le pain du travailleur, ne méritent-ils pas les mêmes égards que les pensions de retraite, le traitement des officiers, et le milliard d’arrérages insaisissables que l’état paie actuellement à ses rentiers ?

Quant aux ventes de biens de mineurs, ne devrait-on pas les faire tout simplement devant un notaire ? qu’ont à faire là-dedans les avoués ; quelle garantie apporte leur présence ? Jusqu’à quand maintiendra-t-on la législation surannée qui régit cette matière ? Dans le Nord, les tribunaux renvoient d’eux-mêmes devant les notaires 60 pour 100 de ces ventes ; dans le Midi, ils n’en renvoient que 14 pour 100. D’où vient cette routine procédurière des anciens pays de droit romain ? Sans doute on cherche ainsi à augmenter le nombre des affaires du tribunal, à favoriser les greffiers et les huissiers audienciers.

Pour faire cesser ces ventes ruineuses, décourageantes, des biens de mineurs, il y aurait aussi une autre réforme à opérer dans notre code, l’établissement d’une des libertés les plus démocratiques : de la liberté de tester. Ce n’est pas incidemment, dans le cadre restreint de cette étude, que peut être abordée la discussion d’une question qui a passionné tant d’illustres esprits. Il est curieux cependant de remarquer, au moment où l’on célèbre le centenaire de 1789, que notre législation sur ce sujet reste tyrannique. Elle a remplacé une obligation par une autre : pas plus aujourd’hui qu’il y a cent ans, le père de famille n’est libre de disposer de son bien. Il était lié, il l’est encore ; au droit de l’aîné des enfans, — ou quelquefois du plus jeune, du juveigneur, car l’un et l’autre se voyaient, — à l’obligation de suivre la coutume, a succédé l’obligation du partage égal, égal non-seulement quant à la quotité, mais aussi quant à la nature. Jadis proscrite de nos lois comme aristocratique, la liberté de lester serait pourtant plus utile nu cultivateur