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pareil état de choses n’est-il pas révoltant ? Un pays où il fonctionne, depuis si longues années, n’est-il pas un pays profondément inique et antiégalitaire, puisqu’il fait payer aux pauvres 132 pour 100 de leur bien, et aux riches seulement 2 pour 100.

Les ventes de 501 francs à 1,000 francs, grevées en 1884 de 57 pour 100 de frais, le sont encore de 53 pour 100 ; celles de 1,001 à 2,000 francs, précédemment grevées de 31 pour 100, le sont aujourd’hui de 28 pour 100. La soi-disant réforme est donc tout à fait illusoire, c’est une hâblerie. Et pendant que la chaumière, ou la parcelle de jardin ou l’hectare de terre du paysan, sont ainsi engloutis, sans profit pour le créancier, dans les caisses coalisées de l’Etat et des gens d’affaires, les immeubles de 5,001 à 10,000 fr. ne se trouvent chargés que de 8 pour 100 et ceux au-dessus de 10,000 francs que de 2.11 pour 100. Il serait aisé, en surtaxant légèrement les gros, de décharger les petits. On peut affirmer d’une façon absolue qu’en vertu de la législation qui nous régit, le propriétaire d’un bien de 2,000 francs et au-dessous le perd, s’il est vendu judiciairement, en totalité, sans que la dette qui a motivé les poursuites soit éteinte. Aux frais de justice de 28,53 et 132 pour 100 que je viens d’indiquer, s’ajoutent, en effet, les dépenses d’adjudication proprement dites, telles que vacations à enchérir, minutes, grosses des jugemens, significations, transcriptions, expulsions ; ceci donne encore 30 ou 40 pour 100, plus le droit de mutation de 7 pour 100. Puis vient, s’il reste quelque chose à distribuer, l’ordre, ordinaire ou amiable (le second se faisant plus vite, mais coûtant presque aussi cher que le premier). Ce dernier coup achève les créanciers ; et quand le partage est fait, il n’y a, soyez-en sûrs, plus rien à partager.

« En matière de ventes mobilières de peu d’importance, dit l’auteur d’un travail très compétent à ce sujet, il ne se fait pas de statistiques, il ne pourrait même pas facilement s’en faire : mais le mal n’est pas moins patent, il est pire. Les frais atteignent ici à des chiffres relativement plus élevés qu’en matière de saisie immobilière. » Quant aux remèdes, ils ne manquent pas : il n’y a qu’à les chercher là où ils sont, et à ne pas s’arrêter à des palliatifs insuffisans. Certes, la procédure tout entière profitera de l’abolition de tricheries légales, par exemple du changement de forme des grosses, — mot trop juste en effet, — de tous les actes émanant des greffes, de la suppression de cette mesure absurde du nombre des lignes dans chaque page et des syllabes dans chaque ligne, destinée à forcer injustement les produits du timbre ; on modifiera ainsi l’aspect ridicule de nos documens juridiques, dont les mots courent les uns après les autres, tout en gardant leurs distances…