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conséquence de diminuer les procès eux-mêmes, ces procès, étouffés par la crainte de l’impôt, ce sont autant d’injustices consacrées par la loi. Impose-t-on au billet d’avertissement du juge de paix un timbre de 0 fr. 60, comme lit une loi de 1871, celle légère entrave a aussitôt pour résultat d’écarter du cabinet de ce magistral nombre de petites affaires. « Il n’en est plus terminé en conciliation, dit un rapport récent du garde des sceaux, que 64 pour 100 au lieu de 75 pour 100, proportion toujours atteinte jusque-là. »

Et lors même qu’on maintiendrait le régime actuel, qui empêcherait de substituer aux taxes invariables des taxes proportionnelles ; en admettant que les frais ne soient pas trop élevés pour les gros intérêts, chacun se rend compte qu’ils sont démesurément exagérés pour les petits, les intérêts sacrés des humbles. C’est à ces procès-là surtout que s’applique le triste adage : « Qui gagne perd ! » Souvent, ce n’est pas une instance volontairement introduite, mais tout simplement des obligations auxquelles ils ne peuvent faire face, ou un malheur de famille, qui contraignent les pauvres gens à se laisser dépouiller par la justice. Jetez un coup d’œil sur les licitations et les ventes judiciaires d’immeubles, ici la fiscalité poursuit le cultivateur jusqu’au de la de la tombe ; laisse-t-il des enfans mineurs… les formes établies pour les protéger entraînent inévitablement leur ruine. A peine la Belgique fut-elle séparée de la France qu’elle se hâta de remplacer les complications coûteuses du code Napoléon par un simple partage effectué devant le juge de paix. Chez nous la réforme demeure « à l’étude. » Pour les ventes de biens-fonds par autorité de justice, la dernière chambre avait voté (1884), en faveur des immeubles au-dessous de 2,000 fr., une loi dont on lit quelque étalage. Elle fut présentée aux populations comme un bienfait dont elles devaient savoir un gré infini à leurs mandataires. Voici, d’après le dernier compte-rendu du ministre, les avantages qu’elle a procurés : jusqu’à 1884, les frais pour les ventes de 500 francs et au-dessous s’élevaient à 151 pour 100 du principal ; depuis 1885, ils ne s’élèvent plus qu’à 132 pour 100. C’est là, on doit en convenir, un précieux résultat et un soulagement considérable ; au lieu de dépouiller les propriétaires d’un immeuble de 500 francs d’une fois et demie leur capital, on ne les en dépouille plus qu’une fois et un tiers. C’est comme si l’on tenait à un soldat, condamné à être fusillé, le langage suivant : le général vous fait remise d’une partie de votre peine ; au lieu de recevoir douze balles dans la tête, il ne vous en sera, demain matin, envoyé que dix ; bénissez, la longanimité de vos supérieurs hiérarchiques, mais en silence ; si vous troubliez le bon ordre par les excès d’une joie bruyante, vous risqueriez de voir aggraver votre cas. Un