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Mais, dira-t-on, « en matière de contentieux administratif, juger, c’est administrer. » Pas du tout ! Administrer, c’est appliquer, exécuter les lois ; juger, c’est dire, en cas de réclamation des tiers, si les lois ont été bien ou mai appliquées et exécutées. Les citoyens délégués au gouvernement de la société sont et doivent être soumis comme tous les autres, dans le gouvernement de leurs livres, aux lois qui régissent la société.

« Donnerez-vous aux juges, demande-t-on, le droit de casser un arrêté préfectoral ou l’acte d’un ministre ? Vous allez soumettre les préfets aux caprices des tribunaux d’arrondissement. » Hélas ! nos mœurs ne comportent désormais rien de pareil ; nos parquets n’auront plus, comme sous la restauration, à lutter contre des cours trop imbues des précédens de l’ancien régime, qui prétendaient mander les préfets à leur barre. Si l’on suppose que les pouvoirs judiciaires (tribunaux de première instance, d’appel et de cassation) sont, du haut en bas de l’échelle, des factieux, en rébellion générale et constante contre le pouvoir exécutif, qu’ils ne se serviront du droit d’interpréter la loi que pour entraver l’application même de la loi, on admet qu’il n’y a plus de gouvernement possible, parce qu’on suppose que ceux qui sont les ministres de la loi en seront les premiers ennemis et les destructeurs systématiques. C’est comme si l’on disait : « Il ne faut pas confier à des gendarmes le soin d’arrêter les voleurs, parce qu’ils pourront s’entendre avec les voleurs, et qu’ainsi la société sera en danger d’être volée à la fois par les uns et par les autres ; il ne faut pas confier à des caissiers le soin de garder l’argent de l’Etat parce qu’ils pourront lever le pied et se sauver avec la caisse. » C’est tout à fait le mot de l’Evangile : Si le sel perd sa force, avec quoi le salera-t-on !

L’article 75 de la constitution de l’an vin, qui ne permettait pas les poursuites contre les fonctionnaires publics autres que les ministres, a été abrogé par un décret de septembre 1870 ; mais le tribunal des conflits l’a fait revivre, quelque peu après, en distinguant l’acte constituant une faute personnelle du fonctionnaire, lequel relève de l’autorité judiciaire, et l’acte administratif qui, dit-il, n’en relève pas. Voilà qui est légal peut-être, mais injuste : l’acte administratif est-il conforme ou contraire à la loi ? ceci est essentiellement, semble-t-il, du domaine des magistrats. Il ne s’agit pas du reste, pour le juge, d’apprécier cet acte en lui-même, mais de connaître seulement de ses effets, dans leurs rapports avec le litige. Il arrive, avec notre système actuel, qu’il n’y a d’autre moyen d’avoir raison du pouvoir exécutif, même en une très petite chose, que d’interpeller un ministre, c’est-à-dire d’en appeler du pouvoir exécutif au pouvoir législatif, et qu’ainsi, pour éviter une prétendue confusion, on tombe dans une autre ; sans compter que, si la chambre