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commercial, le droit civil et le droit criminel on forment d’autres, C’est ce qu’ont fait des nations voisines, comme la Belgique, depuis soixante ans, et l’Italie depuis vingt-cinq, sans parler des pays, plus nombreux encore, où n’a jamais existé cette juridiction amphibie. C’est ce qu’ont proposé, en France, d’excellens esprits dans leurs critiques contre cette institution, dont le discrédit, depuis quelque temps, a augmenté encore.

MM. le duc de Broglie en 1830, de Larcy en 1851, Bethmont en 1865, Raudot en 1871, pour n’en citer que quelques-uns, ont tour à tour fait ressortir les vices d’un système qu’aucun régime n’a le courage d’abandonner. Brochures, articles, avis, rapports, études multiples ont laissé la question pendante. Les anomalies les plus fortes n’étonnent plus, et il semble que l’on y soit habitué. La loi remet aux tribunaux toutes les difficultés relatives aux contributions indirectes et attribue aux conseils de préfecture les impôts directs ; une réduction de 10 francs demandée par un contribuable, en fait d’impôt foncier, et accordée par le directeur du département, doit motiver un jugement, tandis qu’on matière de contributions sur l’alcool ou le tabac on consent de gré à gré, administrativement, des transactions de 1,000, de 2,000 francs et au-dessus. La loi distingue les rues et les chemins classés dans la petite voirie, qui appartient à la justice ordinaire, des routes classées dans la grande voirie qu’elle abandonne à la juridiction administrative à ce point que des contraventions, souvent fort délicates, sont soumises à des conseillers de préfecture qui prononcent des amendes, comme si les prévenus étaient entourés des garanties de la justice répressive. Parfois au contraire ces contraventions, qui touchent la forme des moyeux de roues, la largeur des chargemens, le nombre maximum des chevaux à atteler, sont de simples vétilles qui devraient regarder les juges de paix, comme les procès-verbaux pour absence de lanternes aux voitures.

La juridiction administrative agit envers les tribunaux ordinaires de ce XIXe siècle, comme les juges royaux du moyen âge envers les juges seigneuriaux ; elle tend sans cesse à étendre son domaine et à restreindre le leur ; et comme elle semble plus particulièrement favoriser l’Etat au détriment des particuliers, tandis que la magistrature véritable a, au contraire, une tendance à protéger les particuliers contre l’Etat, il s’ensuit que chaque extension de la justice rendue par les fonctionnaires de l’Etat est un accroissement du socialisme d’Etat, et un amincissement nouveau du droit individuel. Ainsi l’on en est venu à affirmer, comme règle absolue, qu’en l’absence d’un texte formel les tribunaux ne peuvent déclarer l’État débiteur pour les actes de gestion des services publics ; ainsi l’on