sans exception, et qu’aucune influence étrangère ne puisse peser ni sur leurs personnes ni sur leurs jugemens. Cinq espèces de gens rendent aujourd’hui la justice en France : 1° des juges inamovibles, quoique nommés par les ministres (tribunaux de première instance, cours d’appel et de cassation) ; 2° des juges amovibles, choisis et révoqués selon le bon plaisir de l’exécutif (juges de paix, conseillers d’état, conseillers de préfecture) ; 3° des juges élus par le suffrage universel de leurs justiciables (tribunaux de commerce) ; 4° des juges désignés par le hasard (les membres des jurys d’assises) ; 5° enfin un magistrat nommé par le congrès tous les sept ans (le président de la république).
Le droit de grâce, prérogative vraiment régalienne, que notre organisme républicain, si fort imprégné de monarchisme, a conservé au chef du pouvoir exécutif, est en effet un véritable pouvoir judiciaire. Naturel en un temps où l’on disait, où l’on pensait que toute justice émanait du roi et était rendue en son nom, cet attribut a perdu sa raison d’être, puisqu’il a pour résultat de confondre les pouvoirs sous un régime où l’on prétend les distinguer. Il est clair que le chef de l’état, remplaçant la peine de mort à laquelle un assassin vient d’être condamné par celle des travaux forcés, commuant la peine des travaux forcés on celle de la réclusion, changeant la prison en amende, et remettant l’amende elle-même, fait acte de juge, et, qui plus est, de juge unique. C’est après un examen particulier de chaque affaire, après une étude des dossiers, que ce personnage, agissant dans la liberté de sa conscience, sans débats, aidé du secours de ses seules lumières, suspend la vindicte publique ou lui donne coins à son gré. De 1881 à 1885, il y a eu vingt-neuf condamnations à mort par an, sur lesquelles cinq seulement étaient exécutées. Que cet arbitraire ne puisse s’exercer que pour la clémence, d’accord ; mais ce n’en est pas moins l’arbitraire, et le plus exorbitant qui puisse exister, puisqu’il s’agit de la vie et de la mort des citoyens, que cet homme qui en dispose n’est tenu de rendre compte à personne des motifs qui ont déterminé ses verdicts, qu’il est d’usage de le solliciter, ce qu’on n’ose faire ouvertement auprès d’autres juges. Il peut, lui, agent passager et politique qui n’a pas le pouvoir de retrancher ou d’ajouter un mot à un article du code criminel, qui ne peut personnellement condamner aucun Français à une amende de cent sous, abroger à lui seul implicitement ou remanier tous les articles de ce code, en paralysant ceux de leurs effets qui lui déplaisent. Il est en droit de réduire à néant, ou à peu de chose, tel jugement correctionnel, tel arrêt d’assises que bon lui semble, en dispensant le condamné de les exécuter.
Il est clair qu’en pratique de pareils abus ne pourraient se