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trouver des alliances non seulement en Allemagne, mais au dehors, se jetterait, avec une indomptable énergie, à la traverse de l’œuvre d’Erfurt, aussitôt maître de ses mouvemens. M. de Radowitz sans doute, au jour des défis, ne reculerait pas ; son esprit était plein de ressources et son courage au niveau de son intelligence ; il était homme à défendre ses plans avec la plume et l’épée. Mais serait-il appuyé jusqu’au bout per fas et nefas, par un souverain scrupuleux et vacillant ? Le doute était autorisé; aussi, je le répète, les conceptions du conseiller intime de Frédéric-Guillaume inspiraient au comte de Brandebourg et à M. de Schleinitz de légitimes préoccupations. Ils appréhendaient que sans l’appui diplomatique d’une grande puissance les desseins caressés par le roi n’aboutissent à un humiliant échec. Ce n’était pas sur la Russie qu’il était permis de compter; n’avait-elle pas prouvé, par son intervention en Hongrie, qu’elle répudiait les entreprises entachées de l’esprit révolutionnaire des nationalités? On pouvait tout aussi peu faire fond sur un soulèvement irrésistible du patriotisme germanique. Le parlement avait rompu avec la politique prussienne après le refus dédaigneux du roi d’accepter la couronne; ses membres s’étaient dispersés, irrités, mortifiés, et les plus audacieux d’entre eux prêchaient à Stuttgart, du haut d’une tribune improvisée, la haine de la Prusse[1].

La politique prussienne n’avait pas le choix; elle en était réduite, sous peine de sombrer piteusement, à rechercher, quoi qu’il lui en coûtât, notre appui. La France, bien que passive, jouait dans le débat soulevé en Allemagne un rôle important; il dépendait d’elle d’éveiller les craintes, de donner des espérances, de tempérer les ardeurs, ou de précipiter les événemens. Simple spectatrice du différend, elle en était en quelque sorte le régulateur, sinon l’arbitre. Telle était la notoriété de cette situation qu’elle dominait les réserves et les artifices de langage ; elle agissait sur les cabinets, comme sur l’opinion en Allemagne, sans que notre diplomatie eût à manifester son action. Elle forçait l’Autriche et la Russie à une attitude expectante, résignée, en face de la politique prussienne, moralement soutenue par le cabinet de l’Elysée, car, en s’opposant par la menace au mouvement allemand, elles eussent attiré sur elles toutes les forces révolutionnaires. Aussi, pour faire avorter les conceptions de M. de Radowitz, s’appliquait-on, à Vienne et à Pétersbourg,

  1. Après le refus du roi de Prusse, le parlement de Francfort, avant de se dissoudre, avait adressé, le 12 mai 1849, un manifeste aux peuples allemands pour les inviter à faire accepter par leurs gouvernemens la constitution de l’empire et la loi électorale, telles qu’il les avait votées. La fraction avancée de l’assemblée avait refusé de déposer son mandat, elle s’était transportée à Stuttgart pour y continuer ses délibérations, sous le nom de Nachparlament.