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l’odeur de charogne que lui donne la révolution de 1848. Quoi ! cet oripeau, ce bric-à-brac de couronne pétri de terre glaise, de l’ange, on voudrait la faire accepter à un roi légitime, à un roi de Prusse ! » Frédéric-Guillaume entendait être sacré par ses pairs, par les princes allemands et non par des révolutionnaires. « Sa conscience lui veut du mal, » disait son chambellan Alexandre de Humboldt.

Mais, s’il avait refusé la couronne de Barberousse, souillée par la révolution, il n’avait pas abjuré ses prétentions sur l’Allemagne, ni ses visées sur les duchés de l’Elbe, ni ses revendications sur Neufchâtel. Aussi se trouvait-il à la fin de 1849 engagé de tous côtés, au dehors et à l’intérieur, dans de graves affaires. Arracher le Schlesvig et le Holstein au Danemark, protégé par la Russie, la France et l’Angleterre, s’attaquer à la Suisse, à propos des révolutionnaires réfugiés sur son territoire, pour lui reprendre la principauté de Neufchâtel et former en Allemagne, aux dépens de l’Autriche, un Sonderbund, paraissait téméraire à l’heure où l’Europe, à peine sortie de la tourmente de 1848, avide d’ordre et de tranquillité, cherchait à se reprendre et à reconstituer ses assises ; c’était froisser les intérêts de toutes les puissances et provoquer d’inévitables complications. « Il faut toujours tenter, disait Frédéric II, et être bien convaincu que tout nous revient. Mais gardez-vous d’afficher naïvement vos prétentions et surtout nourrissez à votre cour des hommes éloquens et laissez-leur le soin de vous justifier. » L’homme éloquent que Frédéric-Guillaume avait attiré dans son intimité, pour lui permettre de concilier ses ambitions avec ses scrupules monarchiques, était le général de Radowitz. Il en avait fait son confident et son conseiller irresponsable. Le gémirai de Radowitz avait marqué au parlement de Francfort par sa belle prestance et par sa parole nette et vibrante. C’était un esprit élevé, et ceux qui l’ont connu dans l’intimité disent un noble cœur. Descendu d’une famille hongroise[1], il portait dans les affaires la chevalerie mystique de sa race ; les chimères se mêlaient volontiers à ce qu’il y avait de grand dans ses ambitions. Il avait plus d’une affinité avec son souverain, tous deux avaient l’imagination ardente et la volonté flottante. Ils sacrifiaient aux mêmes dieux en construisant des systèmes sans tenir compte des réalités. Le droit fédéral, disaient-ils, a disparu, tous les liens entre les États en Allemagne sont brisés, il appartient à la Prusse de s’emparer du pouvoir échappé à la révolution et de résoudre le problème germanique. Ce n’était pas bannière déployée, mais par des

  1. M. de Radowitz était né en Allemagne, mais son père était Hongrois. M. de Bismarck, au parlement d’Erfurt, ne craignit pas de lui reprocher son origine.