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raient pas. C’est la revanche du travail, de la persévérance féconde, du génie des constructions contre les partis qui auraient pu tout perdre. Aujourd’hui elle est ouverte, cette exposition universelle qui ne dément pas son nom ; elle se déploie dans son ampleur savante, dans sa vaste et ingénieuse ordonnance. Du premier coup, on peut dire, sans y mettre de vanité, que c’est la réalisation brillante et heureuse d’une idée largement conçue, exécutée avec autant de puissance que de sûreté. M. le président de la République, qui n’a été que juste, en disant, le jour de l’inauguration, dans un langage bien inspiré, que c’était l’œuvre de la France, non d’un parti, M. le président de la République a rappelé la première Exposition qui s’ouvrait en 1798, sous la direction de François de Neufchâteau, — et qui réunissait 110 exposans ! On n’en est plus là ; l’Exposition d’aujourd’hui dépasse non-seulement celle de François de Neufchâteau, mais toutes celles qui se sont succédé depuis, en 1855, en 1867, en 1878. Elle les dépasse et par l’étendue et par l’habile diversité des combinaisons et par la nouveauté des moyens que la science et l’art réunis ont mis au service des ingénieurs. Pour bien des visiteurs venus des extrémités du monde, aussi bien que du fond de la France, l’attrait souverain de l’Exposition est sans doute cette tour merveilleuse, qui s’élève à 300 mètres vers le ciel. La tour Eiffel est en train de devenir légendaire, elle l’était déjà avant d’être achevée. Certainement c’est un prodige de piécanique savante, une étonnante apothéose du fer, un objet gigantesque de curiosité ; ce n’est peut-être pas l’œuvre d’un art bien caractérisé. On ne voit pas bien ce qu’elle représente, à quoi elle peut répondre. Elle sera probablement au bord de la Seine un I colossal sur lequel pourra se poser de plus près, comme un point « sur le clocher jauni, » la lune d’Alfred de Musset. Mais ce n’est qu’un détail, une attestation isolée, un peu énigmatique, de la science des ingénieurs. Ce qu’il y a réellement d’intéressant, de frappant, c’est l’ensemble de cette Exposition qui embrasse l’immensité du Champ de Mars, les pentes vertes du Trocadéro, aussi bien que l’Esplanade des Invalides, — qui comprend une série de constructions, distribuées avec autant de goût que d’ordre, tour à tour grandioses ou pittoresques, destinées à recevoir toutes les œuvres des arts et des industries du monde. C’est un abrégé de tous les produits du génie humain. On avait hâte d’arriver à cette Exposition, qui va être sûrement l’attrait des étrangers aussi bien que des Français, et qui a de plus l’avantage d’éclipser momentanément la politique, — si tant est que cette politique morose, obsédante et irritante ne revienne pas avec nos chambres, qui rentrent aujourd’hui même au Luxembourg et au palais Bourbon.

À dire vrai, c’était presque entendu que l’Exposition devait être le signal bienfaisant d’une sorte de suspension d’hostilités de quelques mois entre les partis. Malheureusement, il y a trêve et trêve, et il est