La méthode s’affirme et le grain de folie, ou d’excentricité, disparaît dans les hautes sphères. Rien de plus régulièrement ordonnancé, de mieux calculé en vue du résultat à obtenir que cette trilogie mondaine, La vie d’une jeune fille du monde, à New-York, ou dans toute autre grande ville de l’Est, comporte, en effet, trois phases distinctes, trois saisons différentes, représentant chacune un hiver, avec ses distractions citadines, un été, avec ses amusemens soi-disant champêtres.
Première année. — Elle débute dans le monde ; elle en a ouï parler et de longue date s’est préparée. Trop pénétrée toutefois de l’importance de l’acte, elle y apporte un peu de gaucherie et d’embarras. Sur ce terrain nouveau, elle se sent dépaysée. Sa mère, qui redoute pour elle les libres allures et l’assurance de mauvais goût, a soigneusement éliminé ses amis et compagnons d’enfance. Leur gaîté et leur familiarité effaroucheraient les partis sérieux, peu soucieux de se commettre en ce bruyant entourage. C’est l’année préparatoire. Elle observe, écoute et se tait. Par politesse, les hommes se font présenter à elle ; par choix, ils l’ignorent. Dépaysée, isolée, inconsciente de sa valeur, elle ne brille encore d’aucun éclat. C’est la saison ennuyeuse, la période d’initiation. Assise aux côtés de sa mère, elle danse rarement, cause encore moins ; aussi est-elle toujours disposée à rentrer au moindre signe de lassitude de son père.
L’été, à Newport ou Saratoga elle retrouve quelques-uns de ses danseurs, quelques-unes de ses compagnes de salon. Des coteries se forment, des amitiés féminines se nouent. Les promenades, les excursions, les cavalcades l’amusent. On lui parle, et elle répond ; on la remarque et elle s’en aperçoit. Elle se sent quelqu’un et non plus quelque chose. Elle prélude dans l’art de la flirtation, et sa juvénile expérience ne laisse pas que de faciliter ses débuts.
Deuxième année. — C’est l’année expérimentale. Elle connaît les gens et ils la connaissent ; elle tire parti de ce qu’elle sait et devine ce qu’elle ignore. Il commence à faire jour dans sa tête ; elle a l’intuition de ce qui sied le mieux à l’air de son visage, à son genre de beauté. Chrysalide, elle devient papillon. D’avance elle a choisi ses amies, et de ce choix sagement fait dépend, dans une grande mesure, l’avenir de sa campagne matrimoniale. Étant données les coutumes américaines, ces jeunes compagnes lui seront plus utiles que père, mère, frère, tante ou cousine. A-t-elle su se bien faire venir d’elles, leur popularité soutiendra la sienne. Leurs commentaires bienveillans la mettront en vue ; elles l’aideront, comme elle les aidera. Aussitôt qu’elle, avant elle peut-être, elles auront deviné le mari qu’il lui faut, elles s’ingénieront à le rapprocher d’elle, à lui faciliter les occasions de le rencontrer par des