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qui bon lui semble, de n’admettre au nombre de ses suivans que ceux qui lui paraissent réunir les conditions qu’elle désire trouver réunies dans un mari. À elle de s’assurer par une enquête préalable de l’harmonie de goûts et d’idées qui existe entre eux, de démêler, sous les formes partout identiques de la galanterie, la profondeur et la sincérité des sentimens qu’elle peut inspirer, la valeur intellectuelle et morale de celui dont elle portera le nom. La flirtation pourvoit à tout cela et lui permet tout cela ; sous une forme mélancolique ou enjouée s’échangent aveux et confidences, entretiens tendres et sérieux, se dessinent les caractères, les volontés, les aspirations. Tacticienne habile, elle excelle à calmer les impatiences, à encourager sans se lier, à décourager sans rompre.

Est-elle mondaine ? Il lui importe de savoir s’il aime le monde, ou s’il l’aimera, s’il l’y conduira, si elle pourra se livrer à son goût pour la toilette, recevoir, passer l’été à Saratoga ou aux bains de mer. Entre deux phrases sentimentales, émaillées de citations de Tennyson ou de Longfellow, elle glissera une question sur la situation actuelle du jeune homme, ses chances de fortune, ses espérances, en sœur, en amie qui s’intéresse à lui, à son avenir. En quelques séances, elle saura ce qu’il lui importe de savoir, et, comme les termes de comparaison ne lui font pas défaut, elle saura aussi si elle doit l’encourager ou le décourager. Plus simple dans ses goûts, aspire-t-elle à un bonheur plus calme, met-elle son idéal dans une intimité complète de cœur et d’esprit ; aimera-t-il ce qu’elle aime et se contentera-t-il de cette existence paisible ? Ambitionne-t-elle de jouer un rôle politique, de briller à Washington ? Y a-t-il en lui l’étoffe d’un homme d’État, à tout le moins d’un politicien ? Saura-t-il habilement diriger sa barque sur cette mer orageuse ? Imbue des vieilles traditions, met-elle son orgueil à s’allier à l’une de ces anciennes familles dont on prise plus encore aux États-Unis qu’en Europe l’antique origine ? Elle apportera dans son choix le discernement, la prudence et la sage lenteur qu’il comporte.

Ce n’est pas à elle à s’accommoder de la situation que les circonstances lui feront, à y conformer ses goûts, à y plier ses inclinations. Ni le milieu dans lequel elle a vécu, ni les enseignemens qu’elle a reçus ne l’ont préparée à ce rôle effacé et subalterne. Elle n’est pas comme ces princesses allemandes qu’une éducation savamment indifférente façonne à devenir catholiques ou protestantes, orthodoxes ou schismatiques, anglaises ou russes, italiennes ou grecques, suivant l’époux que leur imposeront les combinaisons politiques du moment. Ses idées sont arrêtées, ses goûts formés, et le problème à résoudre est de choisir celui qui, les partageant, saura le mieux les réaliser.