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II.

Nous avons indiqué ce que fut, au début, la colonisation des États de l’Est : puritaine et protestante, se recrutant dans les classes moyennes de l’Angleterre de 1630, hostile aux Stuarts, sympathique au commonwealth et à une forme républicaine de gouvernement. Dans le Sud, au contraire, colonisé par les partisans des Stuarts dépossédés, nous avons signalé le maintien des traditions aristocratiques anglaises, l’esclavage devenu une institution, la vie large et facile du planteur remplaçant l’existence opulente du grand propriétaire terrien. Dans l’Ouest, envahi et peuplé plus tard, ces deux types se mêlent et se confondent, représentés par les aventuriers du Sud et de l’Est, par leurs plus hardis pionniers impatiens de vie libre et de grands espaces, reculant devant la civilisation qui avance et dont la réglementation leur pèse. Tous jeunes, énergiques, peuplant les solitudes de l’Ouest d’une progéniture vigoureuse comme eux, nombreuse comme elle l’est toujours là où l’enfant est un aide et non une charge.

D’où trois types distincts : population citadine dans l’Est, de planteurs dans le Sud, fermière dans l’Ouest. Depuis, il est vrai, et successivement ces conditions se sont modifiées, chacune des sections débordant sur l’autre : l’Ouest se couvrant de grandes villes, l’Est envahissant le Sud après la guerre de sécession, le Sud ruiné, émigrant ; mais le temps n’a pas encore achevé son œuvre de fusion, non plus qu’il n’a effacé les traits caractéristiques. L’Est, la première colonisée de ces trois sections, est devenu la plus peuplée, la plus importante, le centre du grand commerce incarné dans la vraie capitale de l’Union, dans New-York, la cite impériale, comme elle s’intitule elle-même.

Aucune autre ville de la république ne saurait rivaliser avec elle. Sa population, son luxe, l’éclat de ses réceptions et de ses fêtes, l’opulence de ses millionnaires, l’élégance des toilettes féminines, en font l’arbitre des coutumes et des modes, la ville sur laquelle se règlent les autres. Boston renferme une société plus lettrée et plus austère, Baltimore, Charleston et Richmond ont conservé des traditions plus aristocratiques, Philadelphie est un milieu plus délicat et plus réservé ; on trouve plus de gaité à la Nouvelle-Orléans, plus de laisser-aller à Chicago, plus d’esprit et de goût à Washington quand la session hivernale du Congrès y ramène le monde cosmopolite des légations, du sénat et de la chambre des représentans ; mais dans aucune de ces cités la vie sociale n’atteint le même degré d’intensité qu’à New-York, le paradis de la jeune fille américaine.