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caprices et ses exigences. Assurée du respect de tous, certaine de trouver en tout homme, quel qu’il soit, un protecteur et un défenseur, de conférer une faveur en demandant un service, elle se meut à l’aise dans cette atmosphère de galanterie, banale à force d’être étendue, qui s’adresse à son sexe plus qu’à sa personne, et dont elle n’hésite pas à réclamer hautement les privilèges. Quiconque a visité New-York a eu maintes fois l’occasion d’assister à la scène que raconte le baron de Hubner. « Je suis assis dans un des tramways-cars qui parcourent les rues principales de la grande ville. Un léger coup d’éventail m’arrache à mes pensées, et voilà, fièrement dressée devant moi, une jeune femme qui me toise de pied en cap, d’un regard hautain, impérieux, voire même courroucé. Je m’empresse de me lever, et elle prend ma place sans daigner me remercier, ne fût-ce que par un sourire ou un regard. Je suis cependant obligé de faire le reste du voyage debout, dans une position assez incommode, et en m’accrochant péniblement à une des courroies posées à cet effet le long du plafond de la voiture. Un jour, une jeune fille avait ainsi expulsé, d’une façon particulièrement cavalière, un vieillard infirme. Au moment où elle quittait la voiture, un des voyageurs la rappela. « Mademoiselle, lui dit-il, vous avez oublié quelque chose. » Elle revint précipitamment sur ses pas. « Vous avez oublié de remercier monsieur[1]. »

De tels faits ne sont pas rares, mais ce serait être injuste envers les femmes américaines que d’attribuer à toutes le manque d’égards de quelques-unes. Cette assurance, cette conscience moins de leurs droits que de leurs privilèges, expliquent leur indépendance, comment elles peuvent entreprendre, seules, de longs voyages, certaines de trouver partout une universelle déférence et des attentions dont elles s’acquittent, semble-t-il, par le fait seul de les accepter, en échange desquelles nul n’attend même un remercîment.

De bonne heure et partout elles sont accoutumées à rencontrer les signes visibles de leur incontestable souveraineté, de l’universel respect. Partout elles sont chez elles et en ont conscience. À New-York, la ville cosmopolite, la ville du monde qui contient le plus d’Irlandais après Dublin, le plus d’Allemands après Berlin et Vienne, à Chicago et à Saint-Louis, ces villages de l’Ouest qui, ayant fait fortune, sont devenus de grandes villes, les marques apparentes de la royauté féminine frappent les yeux. Dans tous les endroits, publics ou privés, au théâtre et dans les hôtels, dans les chemins de fer et à bord des bateaux à vapeur, dans les restaurans et dans

  1. Promenades autour du monde, 2 vol. in-8o ; Hachette et Cie.