Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 93.djvu/387

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus cuisans, lorsque le prince de Prusse, pour le persifler sans doute, lui dit peu de temps après : « Si les armées fédérales ne sont pas entrées à Berlin au mois de janvier 1851, c’est qu’elles ne l’ont pas voulu. « Telles étaient dans ces temps, à la fois si récens et si lointains, les haines et les rivalités séculaires dont s’inspirait l’Allemagne. J’en fus le témoin à Francfort, dans les jeunes années de ma carrière, à la veille et au lendemain d’Olmütz, au moment où elles se déchaînaient impétueuses, brutales. Ma mémoire en a gardé une ineffaçable empreinte. Je vois encore l’attitude humiliée des diplomates prussiens, les allures triomphantes des coalisés de Bregenz ; je crois entendre les imprécations vindicatives qui s’échangeaient des deux rives du Mein. Il est des souvenirs dont l’écho n’a rien d’affligeant, ils font vibrer l’espérance dans les cœurs aux heures de découragement.

Les fautes se paient et les occasions perdues ne se retrouvent plus. La mansuétude inattendue du prince de Schwarzenberg, provoquée par un élan de générosité de François-Joseph, — si ce n’est par l’intervention de l’empereur Nicolas, — décida du sort des deux empires; elle sauva la Prusse, mais elle perdit l’Autriche.

En 1866, les mêmes causes provoquèrent les mêmes passions ; mais les constellations n’étaient plus les mêmes. L’Autriche, mal inspirée, mal commandée, était isolée, tandis que la Prusse, animée du souffle de la vengeance, alliée, par notre fait, aux Italiens, avait réorganisé son armée et s’était assuré de secrètes complicités à Paris et à Pétersbourg. La direction des deux politiques avait changé de main. Le comte de Bismarck, converti à l’idée de la revanche, était rentré en scène à l’heure où le prince de Schwarzenberg, comme un brillant météore, en disparaissait soudainement[1]. La roue de la fortune avait tourné ; l’armée autrichienne, qui était certaine de vaincre au mois de décembre 1850, subissait la défaite dans une lutte fratricide au mois de juillet 1866[2]. M. de Persigny, dans ses lettres au président, avait prédit le châtiment de la Prusse; mais, bien qu’il eût le don des vovans, il n’avait pas prévu son prompt relèvement.


G. ROTHAN.

  1. Le prince avait, dans la journée du 5 avril 1852, donné de nombreuses audiences et présidé le conseil des ministres. En s’habillant pour aller à un grand dîner chez son frère, il perdit subitement connaissance, et en moins d’une demi-heure il expira.
  2. La Prusse et son roi pendant la guerre de Crimée, chapitre V.