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une constitution qui permettrait à une coalition de petits états de la majoriser. Il réprouvait, au nom du vrai patriotisme, toute transformation portant atteinte aux droits de souveraineté des princes ; il répudiait les couleurs nationales allemandes, les tenant pour l’emblème de la révolution. La guerre faite au roi de Danemark était, à ses yeux, une entreprise inique, frivole, désastreuse, révolutionnaire. M. de Bismarck. demandait enfin qu’on relevât en Allemagne la colonne du droit sur ses bases légales en restaurant la Confédération germanique. Les argumens du parti de la Croix, les prières de la reine Elisabeth, la tante de François-Joseph, avaient comme toujours produit leur effet sur l’esprit du roi. Mais ce qui l’avait impressionné surtout, c’étaient les correspondances de ses agens. Non-seulement les diplomates des princes qui s’étaient rencontrés sur le lac de Constance, dans les derniers jours d’octobre, tenaient des propos méprisans pour sa personne, mais, symptôme alarmant, les diplomates russes, si disciplinés, s’associaient à leurs récriminations. Le doute n’était plus permis, la Russie prenait couleur, elle se mettait ostensiblement du côté de l’Autriche.

L’empereur Nicolas, en effet, entrait en scène avec le ton hautain que l’Europe lui laissait prendre. La révolution de 1848 l’avait bien servi. Il avait profité des fautes des peuples et des gouvernemens pour s’immiscer dans leurs débats. Les Polonais étant les alliés des Magyars, il avait joué un rôle déterminant en Hongrie[1] ; signataire des traités de 1815, il avait suivi de près les affaires allemandes, il avait couvert les dynasties menacées de son appui moral et montré son pavillon dans l’archipel danois. Les conservateurs de tous les pays exaltaient à l’envi sa sagesse, il était à leurs yeux le défenseur des trônes et l’adversaire militant des démocrates. Habitué à jouer le rôle d’arbitre dans les différends germaniques, il invitait le comte de Brandebourg et le prince de Schwarzenberg à venir s’expliquer devant lui à Varsovie. Ses invitations étaient des ordres. Les Allemands, si glorieux et si provocans aujourd’hui, n’étaient pas fiers alors. Le comte de Brandebourg partit sur l’heure avec le prince de Prusse.

Frédéric-Guillaume croyait avoir des titres à l’amitié de son beau-frère ; il s’en remettait à lui pour le tirer d’embarras ; il lui confiait le soin de sa dignité et de ses intérêts. C’était une illusion ; il était condamné d’avance ; le prince Guillaume, son frère, n’en plaida pas

  1. Manifeste de l’empereur Nicolas, 8 mai 1849. — « L’insurrection hongroise soutenue par l’influence de nos traitres de la Pologne de l’année 1831, a donné à la révolution des Magyars une extension de plus en plus menaçante. L’empereur d’Autriche nous ayant invité à l’assister contre l’ennemi commun, notre armée se mettra en marche pour étouffer la révolte et anéantir les anarchistes audacieux qui menacent aussi bien la tranquillité de nos provinces. »