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Si les gouvernemens ne l’ignorent pas, les peuples ne savent qu’imparfaitement comment et pour quels misérables intérêts royaux la Prusse a récompensé votre concours. Il faudrait surtout séparer la cause allemande de la coterie de Charlottenbourg, cela ferait dans le Napoléon une profonde sensation. »

Cette véhémente sortie contre l’ingratitude prussienne se terminait par une instante prière ; M. de Persigny suppliait le prince de ne plus lui écrire par la poste, car toutes ses lettres, disait-il, lui arrivaient en retard et lacérées. La recommandation était étrange. Le prince s’expliquait en toute liberté avec son ambassadeur sur les affaires de l’état, et au lieu d’assurer le secret à ses correspondances par l’envoi de courriers, il ne craignait pas de les livrer au dépouillement du cabinet noir prussien dont il ne pouvait ignorer l’existence. Était-ce le fait d’une inconcevable étourderie, ou bien tenait-il à rassurer le roi Frédéric-Guillaume, en lui permettant de constater, par l’expression familière de sa pensée, que son représentant à Berlin n’était pas l’interprète fidèle de sa politique?


VI. — LA DÉMISSION DE M. DE PERSIGNY.

La mission de M. de Persigny touchait à sa fin, sa position n’était plus tenable dans une cour formaliste, ombrageuse et susceptible; au lieu d’être une assistance, il était devenu un danger; on cherchait à s’en débarrasser. Mais il n’était pas de ces agens sans attaches, qu’on révoque par simple décret, sur les insinuations d’un gouvernement étranger. Convaincu qu’il ne serait pas écouté à l’Elysée, le comte de Hatzfeld parvint à impressionner les membres les plus influens de l’assemblée législative, opposée à toute immixtion dans les affaires allemandes. Le comité des affaires extérieures s’en expliqua avec le général de La Hitte qui, en butte aux récriminations incessantes d’un collaborateur acariâtre, n’avait aucune raison de le ménager. Il fit ressortir à l’Elysée ses excentricités, son indiscipline, le contraste de ses appréciations avec celles de notre diplomatie accréditée auprès des cours du midi. Il insista sur la nécessité d’être exactement renseigné sur les affaires allemandes par un esprit éclairé, impartial, et sur ses instances, le président se prêta à l’envoi d’un agent officieux en Allemagne. M. Rio, un publiciste ultramontain bien vu des conservateurs, fut chargé de suivre les discussions du parlement d’Erfurt et d’en rendre compte au département. Sa mission n’était pas celle d’un simple reporter. Dans la pensée du président il devait, par sa présence, prouver à M. de Radowitz l’importance