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France. Les libéraux lui reprochaient d’avoir fait avorter l’œuvre du parlement de Francfort, et les conservateurs de s’être faite l’instrument de la révolution.

« Les ennemis de la fédération prussienne s’agitent, écrivait M. de Persigny, ils ont l’air triomphant. Les Russes et les Autrichiens me font des caresses, et l’on répand le bruit que la cour de Pétersbourg et la cour de Vienne vont faire au cabinet de Berlin d’énergiques remontrances. J’en ai parlé à M. de Prokesch, qui m’a dit en haussant les épaules : «Les protestations sont superflues, Erfurt n’est pas viable, et si la constitution qu’on élabore devait être promulguée, l’Autriche ne se bornerait pas à de vaines protestations, elle mènerait les Prussiens tambour battant! »

« On parle d’armemens autrichiens et russes, et l’on dit que le gouvernement prussien, en prévision de menaçantes éventualités, demandera 18 millions de thalers aux chambres. Tous les esprits sont en l’air. Je n’ai pas besoin de vous dire qu’au milieu de cette agitation, je ne cède à aucun entraînement; je me borne au rôle d’observateur et j’évite de donner à mon attitude une signification belliqueuse. Je m’efforce, au contraire, d’ouvrir les yeux au gouvernement prussien. Il méritait un châtiment, et, selon toutes les probabilités, ce châtiment ne lui manquera pas. C’est à notre attitude qu’il devait le succès de sa politique ; si nous avions dès l’origine protesté contre tout changement en Allemagne, la question d’Erfurt n’aurait jamais pu surgir. C’est en exploitant notre attitude sympathique, en faisant dire par les journaux que la France approuvait l’union restreinte et se refusait à s’associer à l’opposition de l’Autriche et de la Russie qu’on a pu réussir à impressionner l’Allemagne, à vaincre les résistances des états du Nord. « 

Le gouvernement prussien cherchait en vain à dissimuler à l’Allemagne l’altération de ses rapports avec la France ; l’Autriche et ses alliés savaient à quoi s’en tenir. Leur langage devenait de plus en plus hautain. M. de Schleinitz prévoyait le moment où il serait acculé dans une impasse; ses familiers se succédaient dans le cabinet de notre envoyé, caressans, démonstratifs ; ils affirmaient que tout s’arrangerait à notre entière satisfaction si nous voulions faire la plus petite concession à Sa Majesté. Le danger les rendait éloquens. A les entendre, la France et la Prusse étaient faites pour s’estimer et s’associer dans une commune politique. N’étaient-elles pas les deux nations les plus éclairées, les plus libérales du continent? Le ministre prussien ne se bornait pas à des protestations, soucieux de l’attitude agressive de ses adversaires et prévoyant une rupture ouverte avec l’Autriche, il insinuait que le roi parlait d’envoyer secrètement