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Frédéric II, pour amorcer les princes et les mettre sous sa coupe, recommandait à ses agens de se servir de « paroles veloutées. » M. de Persigny, au contraire, croyait être habile en épouvantant ceux qu’il devait rassurer. A son arrivée à Berlin, je l’ai dit au début de cette étude, l’Allemagne, à peine sortie de la crise révolutionnaire de 1848, était profondément divisée; la lutte d’influence engagée entre la Prusse et l’Autriche s’aggravait chaque jour et menaçait de dégénérer en guerre ouverte. Deux politiques s’offraient à nous : l’une consistait à atténuer les préventions de la cour de Potsdam, à caresser ses visées ambitieuses et à la pousser à une rupture violente avec le cabinet de Vienne : c’était celle du prince-président; la seconde, plus sage pour un gouvernement naissant et contesté, qui avait besoin de se faire accepter, était de déclarer que nous ne permettrions aucune transformation du corps germanique préjudiciable à nos intérêts : c’était celle du ministère des affaires étrangères et du comité de l’assemblée législative ; affirmer le respect des traités et le maintien de la paix était, d’après eux, le moyen le plus sûr d’asseoir notre influence morale en Europe. Mais inquiéter tous les cabinets, s’afficher avec la Prusse en approuvant ostensiblement l’œuvre d’Erfurt et la forcer en même temps à reculer avant d’être irrémédiablement engagée, était, de toutes les politiques, à coup sûr la plus regrettable. Ce fut celle que M. de Persigny, piqué dans son amour-propre, poursuivit inconsciemment à Berlin en se faisant inopportunément l’apôtre menaçant des idées napoléoniennes et en grossissant, outre mesure, la portée de la question des réfugiés. Moins nerveux, plus patient, il eût ménagé son autorité, il se serait expliqué les préjugés du roi en se rappelant les dures épreuves de sa maison sous le premier empire; il se serait borné à des remontrances courtoises et eut compris une politique, qui, par sa faiblesse même, était condamnée aux réticences.

Le comte de Hatzfeld dut se rendre à l’Elysée pour justifier son gouvernement et se plaindre de l’attitude si peu cordiale de l’envoyé de France dont il avait naguère si ardemment sollicité la nomination. S’il n’alla pas jusqu’à se permettre de réclamer son rappel, il laissait entrevoir que sa cour se sentirait fort soulagée en n’ayant plus à compter avec un agent fantasque, querelleur. N’avait-il pas en peu de semaines tout mis sens dessus dessous, mécontenté le roi, froissé les ministres et scandalisé le corps diplomatique? Le gouvernement prussien avait contre M. de Persigny des griefs plus graves encore, mais il se gardait bien de les formuler. Il ne lui pardonnait pas d’avoir déchiré les voiles, deviné, révélé les équivoques de sa politique et par l’hostilité de son altitude, ébranlé dans ses fondemens l’édifice d’Erfurt.