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s’il visait à former un état dans l’état : il veut tout faire par lui-même ; il veut être fabricant et industriel, quoiqu’une expérience universelle ait condamné ce système et constaté la supériorité de l’industrie privée, stimulée par l’intérêt personnel et tenue en haleine par la concurrence. Une fabrique d’armes périclitait à Saint-Etienne ; si son existence était utile, quelques commandes auraient suffi pour la tirer d’embarras : le ministre a préféré l’acheter au prix de 1,300,000 francs : il va falloir l’outiller à neuf et la pourvoir de matières premières : toutes les sommes nécessaires ont été prélevées sur le budget extraordinaire, sans consulter le parlement et sans lui rendre aucun compte. Quel sera le prix de revient des fusils fabriqués dans cet établissement ? C’est le moindre souci du ministère. Comment les choses se passent-elles à Tulle, à Châtellerault, où quelquefois on ne fait travailler que pour donner du pain à des masses d’ouvriers imprudemment appelés du dehors ? À quel prix y achète-t-on les matières premières ? que coûte leur transformation à combien revient la main-d’œuvre ? Ce sont détails oiseux pour une administration habituée à puiser à pleines mains dans les caisses de l’État. Il serait bon, cependant, d’y voir un peu plus clair et de s’assurer si on ne pourrait pas faire aussi bien, à moins de frais. Il serait surprenant qu’une surveillance plus attentive n’arrivât pas à faire économiser quelques millions sur les centaines de millions qu’on dépense.

Il serait aussi fort désirable qu’une commission parlementaire spéciale soumet à un examen approfondi le programme des entreprises dans lesquelles la guerre et la marine ont dessein de s’engager, et qui n’ont le plus souvent qu’un intérêt purement théorique. Le ministre de la marine vient d’obtenir de la chambre l’ouverture d’un crédit de 42 millions pour la mise en état de défense de Cherbourg, où, paraît-il, nos escadres seraient exposées à être brûlées par une flotte ennemie ; l’exécution des travaux projetés exigerait dix années. Il semble, en premier lieu, que nos cuirassés pourraient se défendre eux-mêmes, comme fit la flotte russe enfermée dans le port de Sébastopol : ensuite, si Cherbourg est réellement aussi menacé, peut-on le laisser aussi longtemps en danger ? n’est-il pas d’ailleurs à craindre qu’avec les progrès de l’artillerie on ne découvre avant l’expiration des dix années que les plans proposés sont tout aussi insuffisans que l’armement actuel ? De son côté, le ministère de la guerre se prépare à demander un peu plus de 100 millions pour l’armement des côtes : sur quels points dépensera-t-on cet argent ? quel plan veut-on suivre ? Y a-t-il effectivement sur notre territoire des points où une tentative de débarquement pourrait avoir des conséquences sérieuses ?