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ce monde, et l’on entreprend un peu partout des. constructions sans plan ni méthode, et le plus souvent pour ne pas laisser oisifs des ouvriers chèrement payés. Si les chantiers de l’État étaient conduits industriellement, si le travail à la tâche était partout substitué au travail à la journée, et si la surveillance était aussi assidue et aussi régulière que dans les chantiers privés, le coût de la main-d’œuvre serait notablement abaissé. Loin de là, la loi du 8 août 1883 a fait des ouvriers des ports de véritables fonctionnaires, auxquels elle a conféré le droit à une retraite en les assimilant aux marins combattans. Chaque fois qu’au terme de travaux exceptionnels on a voulu congédier des ouvriers qu’on ne pouvait plus employer utilement, il s’est produit des manifestations tumultueuses, les autorités civiles et les députés sont intervenus auprès du gouvernement, et on a ordonné des simulacres de travaux pour continuer à payer des hommes dont on n’avait plus aucun besoin. Les ouvriers commissionnés des ports sont actuellement au chiffre de 21,500 : c’est un nombre exorbitant. On a prétendu le justifier en alléguant qu’il y avait 22,000 ouvriers dans les ports militaires anglais. Mais ce rapprochement même est la condamnation de notre administration ; car, si l’on prend pour base la proportion des bâtimens à flot et en construction dans les deux pays, le nombre des ouvriers dans les ports français ne devrait pas excéder 14,000. Il ne devrait y avoir dans les ports militaires que des ouvriers d’élite, spécialement affectés aux travaux d’armement et de réparations, sauf à leur adjoindre, dans les cas d’urgence, des ouvriers supplémentaires, comme fait l’amirauté anglaise, qui emploie simultanément deux classes d’ouvriers : les ouvriers entretenus, attachés d’une manière fixe à chaque arsenal, et des ouvriers gagistes, que l’on prend ou que l’on congédie suivant les besoins du moment. Pour la majeure partie des constructions neuves, il faudrait s’adresser à l’industrie privée, qui construit plus vite et mieux que les chantiers officiels. On en a une preuve éclatante dans le Pelayo, construit pour l’Espagne par la Compagnie des forges et chantiers de la Méditerranée. Ce bâtiment, que l’on considère comme le modèle le plus perfectionné des cuirassés de combat, est à flot depuis dix-huit mois ; notre cuirassé, le Marceau, qui est du même type, a été commencé deux ans avant le Pelayo et sera terminé, au plus tôt, à la fin de 1890. Nous avons un intérêt de premier ordre, sans parler de l’économie qui en résulterait, à favoriser et à développer en France l’industrie des constructions navales : l’habileté, la puissance de production et les capitaux des grands constructeurs de la Clyde et de la Tamise comptent parmi les élémens essentiels de la puissance navale de l’Angleterre.

Si l’adoption d’un plan d’ensemble serait singulièrement utile