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déjà devant les députés. Cependant, comment revenir sur un vote aussi louable et se de juger à quelques jours de distance ? La commission trouva un biais merveilleux. Elle proposa à la chambre de voter les 616,000 francs demandés par le gouvernement, mais de les voter à titre de crédit de prévision. Ils n’en sont pas moins inscrits au budget ; et les conclusions, quelles qu’elles soient, de la commission spéciale, en supposant que celle-ci se réunisse jamais, ne feront pas rentrer dans les poches des contribuables un centime de ce crédit de prévision.

Si nous relevons ces particularités, c’est qu’elles font voir avec quelle précipitation et quelle légèreté, malgré l’appareil imposant de nos institutions parlementaires, on règle l’emploi des deniers publics. Le trait le plus saillant du budget de 1889, c’est la disparition à peu près complète de tout amortissement. Il n’y a plus trace, depuis plusieurs années, d’aucun amortissement de la dette générale ; mais on avait jugé indispensable au crédit public de maintenir un certain amortissement pour la dette exigible et particulièrement pour les obligations sexennaires dont 100 millions viennent à échéance tous les ans. On se souvient du duel homérique qui s’engagea entre M. Tirard, ministre des financés pour la première fois, et M. Bouvier, président et rapporteur de la commission du budget, lorsque celui-ci voulut prélever sur l’amortissement destiné aux obligations sexennaires les millions nécessaires pour mettre le budget en équilibre. M. Tirard se fâcha et posa la question de cabinet. Nos ministres des finances ont fait du chemin depuis quatre ans ; dans la rédaction du budget de 1889, M. Peytral avait proposé tout à la fois de pourvoir aux dépenses extraordinaires de la guerre au moyen d’une émission de bons du trésor et il avait supprimé net tout vestige d’amortissement. Ce fut, cette fois, la commission du budget qui s’émut : elle grappilla de-ci de-là quelques millions sur divers ministères, et elle parvint ainsi à inscrire au chapitre 3 du ministère des finances, sous la forme d’un modeste crédit de 5,800,000 francs, un simulacre d’amortissement. Elle reconnaissait que sur les 100 millions d’obligations qui arriveraient à échéance en 1889, 94 millions ne pourraient être payés et devraient être renouvelés ; mais les apparences étaient sauves, puisque l’état paierait 6 pour 100 de ses échéances et obtiendrait terme pour le reste.

L’impartialité nous commande de signaler, à la louange de la commission de la chambre, un autre trait de la loi de finance de 1889 : la suppression du budget extraordinaire de la marine ; toutes les dépenses de ce ministère ont trouvé place dans le budget ordinaire. C’est un nouveau pas vers ce retour à l’unité du budget dont personne n’essaie plus de contester la nécessité ; mais cette réforme