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changé, par cette raison bien simple qu’il s’agit d’une tradition ou d’une ambition yankee, de cette politique de prépondérance qui se cache sous le nom de doctrine Monroë.

Les États-Unis ont leur politique extérieure qui, à vrai dire, procède de leur génie, de leur position, de l’audace d’une puissance si rapidement accrue, de l’exubérance d’une race vivifiée et excitée par le succès. Ils se développent et grandissent sans rompre le lien qui les rattache au passé, sans se séparer de ce qui a fait leur force, et eux aussi, eux plus que tous les autres, ils ont leurs commémorations qu’ils peuvent célébrer glorieusement. Depuis quelques années, ils ont eu leurs centenaires, le centenaire d’une constitution qui, en restant toujours la même, a pu se prêter à une croissance gigantesque par l’extension des états et la conquête des territoires, par les immigrations qui ont porté la population de 4 millions à près de 50 millions d’hommes, par le déploiement indéfini d’une libre activité par la fécondité du travail et des industries. Ils célèbrent aujourd’hui même le centième anniversaire de la première présidence de Washington et ils le célèbrent à leur manière, sans manquer à leurs traditions. Le nouveau président, M. Harrison, a dû se rendre à New-York, où les fêtes sont préparées. Il y aura une revue de l’armée fédérale, un banquet, des discours, des illuminations, et avant tout, le président a commencé par ordonner des prières publiques dans toute l’étendue de la confédération ; il a invité les citoyens de toutes les religions à se rendre le 30 avril, à neuf heures du matin, dans les lieux ordinaires de leur culte pour inaugurer les fêtes par des prières. M. Harrison lui-même doit assister à l’office religieux dans la chapelle de Saint-Paul, où il y a cent ans le premier président de la République naissante, Washington, allait rendre grâces à Dieu. Les républicains américains ne se croient pas moins libres parce qu’ils associent le sentiment religieux à leurs commémorations nationales !

Tout se mêle d’ailleurs, nous en convenons, chez cet étrange peuple, et par une coïncidence singulière, à la veille du centenaire de Washington, il s’est passé un incident qui n’est pas un des spécimens les moins curieux de cette vie américaine où le culte des traditions n’exclut pas les incohérences, où il s’agit avant tout d’aller en avant, de conquérir des contrées nouvelles. L’état a ce qu’on appelle les réserves de territoires, d’où l’on chasse par degrés les Indiens pour les livrer à la colonisation libre. C’est pour ainsi dire une manière méthodique d’ouvrir périodiquement un champ nouveau à tous les aventuriers prompts à aller chercher fortune dans des régions inexplorées. Il y a quelques semaines, le président Harrison a publié une proclamation déclarant que le 22 avril, à midi, un de ces territoires, l’Oklohama, serait livré à la colonisation, au premier occupant, à la conquête. Aussitôt, de tous les côtés, de la Virginie, du Maryland, du Texas, de l’Ohio, du Missouri,