Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 93.djvu/217

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Galla, dit un crieur méfiant, mets la tête à la portière. — Ah! de grâce, elle repose, ne la tourmentez pas. » Supprimez les litières, changez le nom de la sportule, transformez des sénateurs en princes, en cardinaux, en monsignori, en chefs d’ordres : l’institution du patronage a traversé les siècles, et jusqu’en 1870, Rome, comme au temps de Juvénal, était habitée par des protecteurs qui donnaient sans compter et par des protégés qui n’avaient qu’à demander pour recevoir abondamment.

« La population de Rome, écrivait le duc de Gramont, est sui generis, comme la ville elle-même. Il est impossible de parler sérieusement de la nécessité de soustraire ces populations au joug qui pèse si cruellement et si arbitrairement sur leur destinée; elles nous riraient au nez. Rome est une ville de fonctionnaires, de marchands, de prélats, de moines et de cliens; j’entends par cliens des gens et des familles qui vivent de pensions du gouvernement ou bien qui vivent par les cardinaux, les prélats et les couvens... Ceux qui réclament, ceux qui ont la fièvre unitaire ne sont pas de Rome ni même du patrimoine ; ce sont des étrangers venus des autres parties de l’Italie ou des Légations, des Marches et de l’Ombrie. » Cette population ne ressemblant à aucune autre, ayant d’autres ressources, d’autres occupations, d’autres intérêts, d’autres habitudes, et profondément indifférente à la politique, avait, comme le remarquait M. de Gramont, sa façon d’être heureuse : elle avait résolu le problème de travailler le moins possible, en tirant un énorme revenu des choses qui étaient à sa portée, et il ajoutait « que c’était charger son esprit d’un souci superflu, son cœur d’une tendresse inutile et sa politique d’un embarras fort gratuit » que de se croire obligé d’intervenir pour guérir des maux qui n’étaient pas ressentis et pour redresser les griefs de gens qui ne se plaignaient point.

Le duc du Gramont n’avait qu’une médiocre estime pour ce peuple qui n’était pas un peuple, mais u une agglomération de cliens se tenant hiérarchiquement par une espèce de communisme gradué dans les abus, les vols administratifs, les subventions cléricales, les pensions, les aumônes, l’usure et la simonie. » Un écrivain italien, M. Gabelli, quoique chaud partisan de la maison de Savoie et de la monarchie constitutionnelle, s’est montré plus indulgent que M. de Gramont pour les Romains d’avant 1870. Il les excuse de s’être accommodés d’un régime de laisser-aller patriarcal et d’avoir trouvé le bonheur dans un pays où régnait plus que partout ailleurs le goût des grandes libéralités[1]. Un gouvernement théocratique est sévère pour l’hérésie, qui est le péché de l’esprit,

  1. Aristide Gabelli, Roma e i Romani. Prefazione alla Monografia statistica di Roma, 1886.